Entre colonie et ancien régime

Cela fait un mois jour pour jour qu’un consortium de journalistes internationaux ont dévoilé plus de 500 décisions anticipées, dites « Tax rulings », suite à une fuite de la société PwC. Un mois que le Luxembourg subirait, selon les dires de nos dirigeants, une attaque en règle qui, selon certains, viserait à annihiler purement et simplement son existence. Les communicants de la place financière ont rapidement riposté par une théorie du complot suggérant que l’attaque visait « l’un des nôtres », le président fraichement élu de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Faire appel à la fibre patriotique du peuple afin de protéger les intérêts des puissants n’a rien de nouveau.

Dans son ouvrage « La richesse cachée des nations », Gabriel Zucman qualifie le Luxembourg de « colonie de l’industrie financière ». Un ouvrage par ailleurs remarquable, probablement le seul décrivant les contradictions sociales du Luxembourg avec tant de justesse, comme si l’auteur y avait passé sa vie. Le terme « colonie » est fort : il nous rappelle l’exploitation crasse de populations africaines, asiatiques ou américaines par les puissances européennes. Mais il est correct dans le sens qu’une colonie constitue un territoire destiné à servir des intérêts étrangers à la population locale.

A cela, on nous rétorquera que la population luxembourgeoise a bien vécu et continue de bien vivre de sa place financière et de ses spécificités fiscales. Certes, on ne peut nier le rôle de la place financière dont la contribution s’élève à environ un tiers du PIB – il conviendrait toutefois de faire le tri entre les activités d’investissement et d’assurance légitimes et le poids des différentes niches fiscales. Et ne pas oublier non plus le rôle joué par les acquis du salariat et de ses organisations – les systèmes de redistribution ne furent pas octroyés magnanimement par les barons de la sidérurgie ou les maîtres de la finance.

Le mantra auquel nous faisons actuellement face est celui de l’inévitable concurrence fiscale. La question que nous posons à ses défenseurs, dont le Premier Ministre, c’est de savoir ce que cela rapporte réellement. Non pas aux bénéficiaires d’« optimisations fiscales », mais à l’ensemble de la société – la seule chose qui compte. Ne nous racontons pas d’histoires : que produisent ces « produits », comme les représentants de la Place les intitulent, à part la possibilité pour le capital et ses détenteurs de s’exonérer de leur devoir de participation financière à la société ?

On peut se poser la question alors que le gouvernement luxembourgeois accable sa population de mesures d’austérité dans un contexte de crise provoqué justement par les bénéficiaires d’optimisations fiscales. La population luxembourgeoise profite en réalité de moins en moins de sa Place, qui constitue un monde à part, car il ne s’agit pas d’une place financière « luxembourgeoise », mais d’une place financière « au Luxembourg ». Nous avons beau être un paradis fiscal pour les multinationales, nous ne sommes pas un paradis pour les salariés qui cherchent à se loger, pour les jeunes dont près de la moitié doivent se satisfaire de contrats à durée déterminée (donc précaires), si ce n’est le chômage galopant. Actuellement, les deux-tiers de la charge fiscale est portée par les ménages. Cette charge risque d’augmenter. Car « grâce » à la concurrence fiscale, au Luxembourg comme ailleurs, nous revenons à une situation d’ancien régime où le seul tiers-état supportait la charge fiscale. Ce qui s’est finalement soldé par une révolution.

David Wagner

L’auteur est porte-parole de déi Lénk

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