Depuis la naissance de la politique climatique internationale à Rio en 1992, la production d’émissions de gaz à effet de serre s’est accélérée partout dans le monde et est aujourd’hui d’1/3 plus élevée qu’en 1990. Si cette trajectoire actuelle se maintient, les émissions vont encore augmenter de 20% jusqu’en 2020. Le respect de l’objectif politique de limiter le réchauffement de la planète à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle devient de plus en plus intenable, comme nous allons actuellement plutôt vers un réchauffement de 3° et plus. A l’heure actuelle, il est difficilement imaginable quelles conséquences dévastatrices seront entraînées par un tel changement climatique, mais celles déjà perceptibles aujourd’hui dans de nombreuses régions dans le monde résultent dans des famines, des vagues de migration et des conflits armés. Les réunions COP (Conférence des parties – organe suprême de l’ONU sur le changement climatique) n’ont pas encore apporté grand-chose jusqu’à présent, surtout face à l’urgence de ce défi sociétal d’envergure globale et des réponses à donner.
Ces 25 dernières années ne sont pas seulement marquées par une accélération du changement climatique et par un échec de la diplomatie climatique internationale, mais aussi par un élargissement et un renforcement du système économique néolibéral au niveau international, et par un dogme de croissance dominant. Nombreux nouveaux traités d’échanges et d’investissement ainsi que le démantèlement des obstacles aux échanges et la dérégulation des traités existants ont mené à une concurrence accrue entre les Etats. Dans un tel environnement de compétition accentué entre les différentes places économiques, l’introduction de lois environnementales freinant la croissance ainsi que des augmentations d’impôts destinés à financer des investissements publics dans la transition énergétique seront de moins en moins réalisables. Les mesures d’austérité politique et la baisse des budgets publics ont également diminué les marges de manœuvre pour initier une transformation socio-écologique en Europe. Dans ce contexte, l’importance des énergies fossiles n’a pas été repoussée, mais elle a plutôt gagné du terrain. Cette tendance est soulignée par l’expansion du Fracking (extraction de gaz de schiste) aux Etats-Unis, au Canada et aussi de plus en plus en Europe. Pourtant, c’est justement l’utilisation d’énergies fossiles qui génère le plus de dioxyde de carbone (CO2) et qui représente la plus grosse part dans les émissions globales de gaz à effet de serre, et qui doit donc être considérablement limitée. Cependant, des multinationales puissantes du secteur énergétique, qui ont une influence importante sur la politique à travers de leurs monopoles, freinent toute tentative de changement profond dans ce sens.
Le dérapage du climat est graduellement réduit à un problème purement scientifique – externe à l’homme – qu’on pourrait résoudre avec des solutions techniques et les lois du marché, sans passer par des changements sociétaux profonds. Les pays industrialisés riches peuvent encore fermer les yeux face à ces évidences, comme les conséquences du changement climatique frappent actuellement plutôt les pays en voie de développement pauvres, qui, d’une part, ne sont pas responsables du réchauffement de la terre, et d’autre part, ne disposent pas des moyens pour se protéger contre ce réchauffement. Cette injustice climatique ne concerne pas seulement le fossé Nord-Sud, mais est de même une amère réalité à l’intérieur des populations des pays pauvres. Peu importe qu’on parle de pays industrialisés ou de pays en voie de développement, les gens concernés sont toujours ceux ayant le moins de moyens financiers à disposition et étant le moins responsables du changement climatique, et qui sont en même temps les plus durement touchés et qui doivent contribuer proportionnellement le plus au financement de la protection du climat.
Tout semble aller dans une direction de continuation de cette politique irresponsable, même après la COP21. Pourtant, il serait erroné d’écarter les conférences climatiques internationales d’office comme ‘conférences des pollueurs’. Nous ne pouvons pas laisser le champ libre aux multinationales énergétiques et aux investisseurs financiers, mais nous devons aller fermement à leur encontre en revendiquant une protection efficiente, humaine et juste du climat. Cette stratégie doit être appliquée dans le cadre de négociations climatiques internationales, tout comme au niveau national, régional et communal, dès qu’on aborde des sujets sociétaux aussi importants que l’approvisionnement énergétique, la mobilité, la politique commerciale, l’agriculture et le logement.
déi Lénk ont élaboré quelques propositions en vue de mettre en œuvre des solutions plus justes et efficaces en termes de protection du climat, dont la coopération et la solidarité sont à la base, et non pas la concurrence ou encore la surexploitation. Ces propositions peuvent sont caractérisées par trois point centraux:
– une forte différenciation en ce qui concerne la responsabilité et la protection du climat
– une critique profonde du système économique et ses instruments
– des possibilités de développement justes et démocratiques
(1)
Le changement climatique ne doit plus être considéré comme étant primordialement un phénomène scientifique, auquel on pourrait s’attaquer uniquement via le progrès technique, sans remettre en cause le fondement de notre système économique. Un accord de Paris ne sera efficace que s’il prend en compte les causes des échecs subis jusqu’à présent. Dans ce sens, on doit se rendre compte à Paris que l’ordre économique – sans tenir compte des conséquences pour la nature et l’homme – basé sur une maximisation des profits et une croissance illimitée est contraire à une protection efficace du climat. Le renforcement continu de cette logique par la mise en place de nouveaux accords de libre-échange comme TTIP ou CETA, les privatisations, la dérégulation et la réduction arbitraire des libertés de manœuvre publiques et démocratiques en Europe et ailleurs doit être stoppées immédiatement.
(2)
Nous rejetons des solutions technologiques à grand échelle ainsi que des technologies transitoires visant à limiter le changement climatique, comme par exemple le stockage de CO2 ou bien l’énergie nucléaire. Tout d’abord, en raison de leur besoins énormes en capital et de leur faible flexibilité, ces solutions ne seront que réalisables par des grandes entreprises publiques ou privées, ce qui mène à un déséquilibre supplémentaire des rapports de force et une domination accentuée dans le domaine énergétique et environnemental. Puis, elles vont légitimer l’expansion continue de l’ordre économique capitaliste en repoussant les limites naturelles et humaines de ce développement vers un futur lointain, tout comme les coûts futurs encourus pour des adaptations et des mesures d’atténuation climatiques. Enfin, les frais ultérieurs et les conséquences potentiellement néfastes de ces technologies ne sont pas acceptables.
(3)
Environ 90% des émissions globales de gaz à effet de serre surgissent lors de la combustion de carburants fossiles et de la fabrication de ciment. Selon des estimations, 80% des ressources en énergies fossiles actuellement connues devraient rester dans le sol afin de maintenir le but de limiter le réchauffement de la terre à 2%. Pourtant, les combustibles fossiles comme étant le responsable principal du changement climatique et transition énergétique attendue d’urgence ne joueront aucun rôle lors des négociations sur le climat. A l’heure actuelle, l’extraction de combustibles fossiles est uniquement réglée via le mécanisme du marché; un autre instrument de règlement n’existe pas. Avec l’extension du fracking, l’offre en combustibles fossiles a même augmenté sur le marché mondial, ce qui a réduit l’intérêt économique des énergies renouvelables.
Pour déi Lénk, les revendications suivantes sont les plus urgentes au niveau européen:
– Les Etats et les institutions publiques doivent arrêter d’investir dans les sources d’énergie fossiles et nucléaires, se défaire au plus vite de leurs actifs dans ces mêmes sources d’énergies et investir désormais uniquement dans des énergies renouvelables.
– Les instruments réglementaires européens existants doivent être utilisés de manière plus efficace. La directive européenne sur la qualité des carburants, qui a été diluée suite à la pression exercée par le Canada dans le cadre des négociations sur l’accord de libre-échange CETA, doit être renforcée de nouveau afin bannir les carburants préjudiciables pour le climat au moins de l’Union européenne.
– Les forages pétroliers et gaziers non-conventionnels doivent être proscrits au niveau européen (p.ex. le fracking)
(4)
Un élément central dominant de la politique climatique est la l’acquisition de nouveaux marchés. En liant la protection du climat et de l’environnement aux mécanismes du marché, elle dépend en même temps fortement des mouvements du marché, dont l’intérêt de ce dernier n’est pas de protéger le climat. Il s’agit plutôt de se servir de la protection du climat comme moyen pour en tirer des profits et des rendements, sans réellement contribuer à la protection du climat. A travers ces instruments, les zones de conception centrales de la politique sont cédées à des acteurs puissants des marchés financiers internationaux, et échappent ainsi à tout contrôle démocratique. C’est pourquoi nous voulons supprimer ces mécanismes, et les remplacer par une réglementation de réduction progressive des gaz à effet de serre visant les producteurs d’énergie et les entreprises industrielles, et par des investissements dans des modes de production modérée.
L’exemple le plus connu et remarquable d’un tel mécanisme de marché est le système d’échange de quotas d’émission de carbone. Depuis son introduction, ce système n’a jamais correctement fonctionné, et n’a pas contribué au protection du climat, au contraire: il a permis à des multinationales comme ArcelorMittal d’empocher des bénéfices conséquents, alors que le prix d’une tonne de CO2 beaucoup trop bas n’a nullement stimulé la mise en place de mesure de protection du climat. Afin d’éviter des dommages supplémentaires engendrés par ce système d’échange, nous revendiquons à ce qu’il soit aboli au plus vite.
(5)
Nous reconnaissons la responsabilité historique des pays industrialisés en relation avec le changement climatique, et nous nous engageons pour une forte différenciation entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement – et en partie les pays émergents – concernant les exigences de réduction des émissions et le financement climatique. Des études élaborées au sujet des engagements volontaires de réduction d’émissions et de financement de la protection du climat ont démontré clairement que des pays comme les Etats-Unis, l’Union européenne ou bien le Japon sont les pays à faire relativement peu contre le changement climatique, alors que les pays pauvres du sud font des efforts beaucoup plus importants. L’objectif de l’Union européenne de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% jusqu’à 2030 par rapport au niveau de 1990 ne reflète nullement cette responsabilité historique, et ne fait que décaler le changement de cap indispensable à après 2030.
(6)
Les engagements actuels du Nord pour alimenter le Fonds pour le climat sont insuffisants et fixent les mauvaises priorités. déi Lénk revendiquent dans ce contexte:
– une augmentation des moyens financiers pour répondre réellement aux besoins des pays pauvres, surtout au sujet des adaptions nécessaires pour répondre au changement climatique. Celui-ci est déjà beaucoup trop avancé et ses conséquences sont bien évidentes, et en conséquence, il ne suffit pas de concentrer le financement de la protection du climat que sur la réduction des gaz à effet de serre.
– la mise à disposition de fonds publics. L’Union européenne et les Etats-Unis veulent mobiliser davantage de capital privé pour la protection du climat, alors que le gros des investisseurs privés ne cherche qu’à engranger des rendements, au détriment des pays pauvres et leurs populations
– le financement de la protection du climat en tant que supplément aux aides au développement déjà existantes, et non pas en tant que remplacement
– un transfert de technologies gratuit en faveur des pays en voie de développement
(7)
Afin que les pays industrialisés – notamment ceux de l’UE – puissent assumer leur responsabilité historique en matière de réduction des gaz à effet de serre, des programmes d’investissement publics résolus sont nécessaires dans tous les champs politiques en relation avec la protection du climat : le développement des énergies renouvelables et des transports publics, la promotion de la mobilité douce ainsi que le logement à basse consommation énergétique et l’amélioration de nos systèmes d’éducation et de santé. Les moyens financiers nécessaires pourront être générés à travers une hausse des impôts sur les revenus élevés, sur les bénéfices des entreprises et les revenus du capital (voir nos propositions pour la réforme fiscale). Nous sommes critiques à l’égard des impôts écologiques indirects : ils sont socialement injustes et frappent davantage les revenus faibles, ce qui est difficilement justifiable dans des sociétés devant faire face à une injustice sociale croissante. Beaucoup d’études montrent pourtant que les émissions moyennes par personne augmentent avec le revenu disponible moyen par personne. Les ménages qui touchent des revenus élevés et des rendements sur leurs investissements portent donc plus de responsabilité, que ce soit dans les pays industrialisés ou dans les pays du Sud. Une imposition plus conséquente des revenus élevés, des rendements de capitaux et des bénéfices peut donc à la fois contribuer à un renforcement de la justice sociale et en même temps répondre à des exigences écologiques importantes. En plus de l’amélioration de l’efficience énergétique déjà évoquée, qui peut être atteinte à travers le progrès technique et la recherche, les pays industrialisés doivent aussi initier des changements sociétaux (p.ex. dans le secteur du logement et du transport) et économique (p.ex. réduction du temps de travail) continus afin de réduire la consommation énergétique globale
(8)
Les pays émergents et en voie de développement doivent avoir accès à des systèmes économiques en dehors de la logique d’extraction. En plus d’une restructuration profonde de notre politique commerciale et agricole, qui privent beaucoup de pays du Sud de leurs bases économiques nécessaires pour initier une transformation sociale et écologique, il est indispensable de garantir des transferts financiers et techniques du Nord vers le Sud, afin de permettre aux pays en voie de développement de renoncer aux profits futurs liés à l’extraction de combustibles fossiles ou tout autre matière première polluante ou préjudiciable pour le climat.
(9)
Casser la logique prédominante des sommets sur le climat. Même si nous mettons pas en question l’importance des négociations et des?accords intergouvernementaux en matière de protection du climat et de l’environnement, nous devons constater que les COP se distinguent par l’absence de décisions transparentes et démocratiques, et par une prise en compte prépondérante d’intérêts économiques, étant largement responsables des blocages au niveau de la politique climatique internationale. Il faut trouver les moyens institutionnels pour renforcer l’influence des organisations environnementales et sociales sur les COP et pour enrayer le pouvoir des acteurs économiques. La décision malheureuse du gouvernement français d’interdire la marche pour le climat, qui devait avoir lieu le 30 novembre à Paris, pour raisons de sécurité renforcera l’impression auprès de la population d’un manque de transparence dans les négociations et d’une politique climatique unilatérale en faveur des intérêts économiques.
(10)
L’essor d’une production alimentaire industrielle non soutenable a entraîné une perte importante de matière organique dans les sols et une augmentation des émissions à effet de serre. Ce CO2 supplémentaire pourrait être retiré de l’atmosphère et ramené dans les sols d’ici 50 ans, si on changeait nos pratiques agricoles de manière significative. Dans ce sens, déi Lénk proposent une restructuration du modèle agricole dominant en Europe. Nous voulons mettre un frein à l’industrialisation accrue de l’agriculture et favoriser les petites entités de production, qui produisent pour les consommateurs locaux et régionaux et non pas pour le marché mondial.
D’autant plus, il faut immédiatement mettre fin à l’appropriation illégitime de grandes étendues de terres agricoles (land grabbing) dans les pays du Sud par des Etats ou des multinationales – souvent en vue d’une production industrielle étendue d’agro-carburants. Cette pratique ainsi que les conséquences au niveau du changement climatique en résultant mènent déjà aujourd’hui aux premiers flux migratoires dans maintes régions du mondes, tendance qui va certainement s’aggraver dans les années à venir. C’est pourquoi nous revendiquons de rajouter le statut de réfugié climatique à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.