Zu Gast am Land
Dix jours après la tentative échouée de coup d’état en Turquie, il devient de plus en plus clair que le président Erdogan a saisi l’occasion pour mener une chasse aux sorcières contre tous ceux qui s’opposent à lui : accentuant, en fait, une politique devenue de plus en plus répressive au fil des années.
La Turquie a une solide histoire de coups d’état militaires : en 1960, 1971, 1980. Sans parler de 1997, quand les militaires ont été capables, sans aller jusqu’à un coup, de forcer la démission d’un premier ministre islamiste. Si le coup du 15 juillet a échoué c’est surtout parce qu’il n’a été ni initié ni soutenu par l’état-major, qui est resté fidèle à Erdogan. Entre autres à cause de l’alliance entre le président et les militaires pour mener la guerre contre les soi-disant terroristes du PKK (et contre la population) dans les zones kurdes du Sud-Est.
Depuis la proclamation de l’état d’urgence, plus de 60,000 personnes ont été détenues ou licenciées : parmi elles, 10,000 policiers, 3,000 juges et procureurs, 15,000 enseignants et tous les doyens des universités. La répression a aussi frappé les média, avec fermeture des radios et télévisions et des dizaines de journalistes interpellés. Il n’est pas démontré que les faiseurs du coup ont été des partisans du prédicateur islamiste Fethollah Gülen, ancien allié de Erdogan devenu son ennemi. Mais Erdogan les a manifestement particulièrement ciblés.
De nombreux rapports, relayés notamment par Amnesty International, font état des conditions de détention des militaires interpellés après le coup. Ils sont non seulement sans contact avec leurs familles et sans accès à des avocats, mais soumis à des mauvais traitements qu’on peut bien caractériser comme des tortures.
Les autres partis politiques ont condamné le coup, sans donner de chèque en blanc à Erdogan, certains refusant de voter l’état d’urgence. C’est notamment le cas du HDP (Parti démocratique des peuples), parti de la gauche radical entré au Parlement en 2015, représentant un arc-en-ciel de tous les exclus de la société turque, mais particulièrement implanté au Kurdistan. Le HDP, dont les députés ont déjà été privés d’immunité parlementaire, craint être la prochaine cible d’Erdogan.
La Turquie a une importance stratégique par sa situation géopolitique. Deuxième armée de l’OTAN, elle fournit un soutien logistique crucial aux USA dans leur guerre contre l’Etat islamique, d’où une certaine indulgence de Washington à l’égard de l’état d’urgence. Pourtant l’EI n’est pas l’ennemi principal du régime turc. Ce statut est réservé aux kurdes, ceux de Turquie, bien sûr, mais aussi les Kurdes de Syrie qui sont liés au PKK mais sont aussi des alliés des Américains contre l’EI…
Quant aux Européens, ils ont été beaucoup plus critiques concernant les atteintes aux droits de l’homme, notamment l’évocation d’un possible retour de la peine de mort. Pourtant pour eux aussi, et surtout pour Angela Merkel, la Turquie joue un rôle clef, via l’accord visant à d’enrayer la vague des réfugiés syriens qui débarquaient en Grèce. Entre le realpolitik et les valeurs européennes, lequel prendra le dessus ?
Pour la gauche européenne et tous les défenseurs des droits de l’homme il doit être clair. On ne combat pas un coup militaire par ce que le HDP a bien appelé un coup d’état civil. Il faut lever l’état d’urgence et restaurer les droits civiques. Ceux qui ont participé au coup doivent être jugés, les autres doivent être libérés et réinstallés dans leurs fonctions.
Murray Smith, membre de la Coordination Nationale