CETA : Le Luxembourg attaqué par Google ?

Le scénario est hypothétique, mais pas du tout improbable. Suite à une mobilisation massive de la population, le Ministre de l’Économie luxembourgeois est contraint de faire marche arrière et d’abandonner le projet Google à Bissen. Une multinationale américaine comme Google n’a besoin que d’une filiale au Canada pour pouvoir utiliser le tribunal d’arbitrage qui sera introduit par l’accord CETA entre l’Union européenne et le Canada. Prétendant être victime d’un “cas d’arbitraire manifeste” selon l’article 8.10 (2) de CETA, il pourrait alors porter plainte et réclamer des dédommagements à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros… et aurait de bonnes chances de gagner.

C’est en substance ce qui s’est passé en Roumanie, où une entreprise minière canadienne à portée plainte devant un tribunal d’arbitrage et demande de l’État roumain des dédommagements à hauteur de plusieurs milliards de dollars. Suite à des manifestations massives de la population contre la mise en place d’un projet minier, les autorités avaient finalement mis le projet à l’arrêt. La multinationale a alors porté plainte en se basant sur un traité d’investissement bilatéral entre le Roumanie et le Canada.

Des attentes légitimes ?

CETA contient des dispositions censées protéger les investisseurs contre un “traitement arbitraire” de la part des États. Ces règles sont assez floues et leur interprétation sera faite par un tribunal d’arbitrage spécial nommé ICS (Investment Court System). Une multinationale peut ainsi porter plainte devant ce tribunal contre un État si elle pense par exemple que des décisions politiques affectent ses “attentes légitimes” en matière de profits.

Pour créer de telles “attentes légitimes”, il suffit qu’un membre du gouvernement fasse des promesses à une entreprise, ce qui est potentiellement le cas avec Google au Luxembourg. L’article 8.10 (4) de CETA stipule : “Lorsqu’il applique l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable précitée, le Tribunal peut tenir compte du fait qu’une Partie a fait ou non des déclarations spécifiques à un investisseur en vue d’encourager un investissement visé, lesquelles ont créé une attente légitime et motivé la décision de l’investisseur d’effectuer ou de maintenir l’investissement visé, mais auxquelles la Partie n’a pas donné suite.

La pression exercée en 2016 par la mobilisation citoyenne avait forcé la Commission européenne de reformer le mécanisme d’arbitrage dans CETA. Les tribunaux d’arbitrage privés de type ISDS (Investor-State-Dispute-Settlement) avaient été remplacé par l’idée d’un tribunal permanent (ICS). Pourtant, ce changement est plutôt cosmétique. Si certaines procédures ont été améliorées (p.ex. la possibilité d’appel), le problème de fonds reste inchangé : des entreprises privées peuvent attaquer des décisions démocratiques devant une tribunal, auquel uniquement les entreprises ont accès et qui statue sur la seule base des disposions d’un traité commercial.

Les tribunaux d’arbitrage sont-ils nécessaires ?

Il n’y a pas de raison pourquoi les entreprises privées ne pourraient pas passer par le système judiciaire traditionnel si elles se sentent lésées. En Europe comme au Canada, la justice fonctionne parfaitement. D’ailleurs, il n’y a pas de raison pour protéger les investissements des multinationales au-delà de ce qui est de toute façon déjà prévu par la législation actuelle. Il s’agit finalement d’un système mis en place sur pression des multinationales au profit des seules multinationales, avec de graves répercussions sur le fonctionnement démocratique de nos sociétés. Les députés luxembourgeois qui voteront CETA dans les semaines à venir le regretteront peut-être un jour, lorsque Google attaquera le Luxembourg.

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