Lorsque les défenseurs de CETA sont interpellés au sujet de la coopération réglementaire (chapitre 21), ils expliquent souvent qu’il s’agit d’harmoniser la taille des rétroviseurs de voiture. En coupant court à la discussion de cette sorte, ils cachent la véritable étendu de ce mécanisme complexe.
Car ce chapitre vise pratiquement toutes les législations réglementaires et les normes, p.ex. les règles de sécurité des produits et services, les règles de protection des consommateurs, les standards environnementaux, les procédures d’autorisation de mise sur le marché, les règlementations sociales et du travail, les certifications pour les professions libérales, les réglementations des marchés financiers, etc.
Une harmonisation ou une convergence de ces règlementations est impossible à atteindre d’un coup lors des négociations, ce pourquoi l’UE vise une collaboration étroite dans le temps qui arrivera peu à peu à des résultats. L’impact de CETA sur les réglementations et les normes ne sera donc pas visible lors de la conclusion de celui-ci, mais sera déterminé lors des années et décennies consécutives, lorsque l’attention du public aura diminué.
Comment ça marche?
Lorsque la Commission européenne ou les autorités canadiennes prévoient de modifier une règlementation, elles s’engagent à en discuter en amont avec l’autre partie, notamment pour “prévenir et éliminer les obstacles inutiles au commerce et à l’investissement“, ainsi que pour “améliorer les conditions de la compétitivité et de l’innovation“. Ces discussions auront lieu “au stade le plus précoce possible, de sorte que les observations et les propositions de modification puissent être prises en compte“. Pour cela, les parties se sont engagées “d’échanger des informations non publiques” et d’étudier ensemble “des approches alternatives dans la réglementation“.
Pour institutionnaliser ces échanges, CETA met en place un Forum de coopération en matière de réglementation (FCR) constitué de représentants des autorités canadiennes et de la Commission européenne. Ce Forum adopte lui-même son mandat, ses procédures et son plan de travail et rapporte uniquement à un autre Comité instauré par CETA, le Comité mixte. Il échappe donc à tout contrôle démocratique et ses délibérations et discussions ne seront pas transparentes. Surtout, ce forum peut consulter de sa propre initiative toutes les parties prenantes qu’il juge appropriées, dont notamment les milieux d’affaires qui sont expressément mentionnés dans l’accord. Par ce fait, le FCR devient une antichambre des multinationales pour influencer les réglementations avant qu’elles ne soient présentées au public.
Les règlementations sous le prisme du commerce
Ce Forum de Coopération en matière de Réglementation n’a pas de pouvoir exécutif. Toutes les législations devront toujours être approuvés ultérieurement par les États membres et/ou le Parlement européen. Mais il est clair que les propositions en matière de règlementation que la Commission européenne mettra sur table risquent d’être fortement diluées, si en amont elles ont été analysées et modifiées sous le prisme exclusif du libre-échange.
Ce qu’il faut garder en tête, c’est que ce mécanisme de coopération règlementaire se retrouve non seulement dans CETA, mais dans tous les accords de libre-échange de nouvelle génération. L’échange préalable sur toute règlementation ne se fait donc pas uniquement avec les autorités canadiennes, mais avec tous les gouvernements des pays avec lesquels l’UE a conclu un tel traité. Ainsi, avant de proposer un projet de règlementation au Parlement européen, la Commission européenne s’est déjà échangée à huis clos avec de nombreux gouvernements étrangers qui ont pu influencer concrètement le projet. Et à ces discussions à huis clos, les multinationales étrangères et européennes sont directement associées.
Les différences entre les réglementations dans différents pays ne sont pas le fruit d’un hasard. Elles expriment des divergences politiques et culturelles et des choix de société. Avec la coopération réglementaire, ces divergences politiques et culturelles sont aplanies peu à peu, sans qu’un réel débat démocratique ne puisse avoir lieu. S’y ajoute que le concept de la coopération réglementaire aura un effet d’autocensure, le législateur s’abstenant d’office à renforcer une réglementation qui pourrait être considérée par des gouvernements étrangers comme une entrave au commerce.