Sous-traitance de tâches administratives par le bureau 6 de l’Administration des Contributions Directes

Monsieur le Président,

Conformément à l’article 80 du Règlement de la Chambre des Députés, nous vous prions de bien vouloir transmettre la question parlementaire suivante à Messieurs le Ministre des Finances Pierre Gramegna et le Ministre de la Justice Felix Braz.

Lors du procès dit « Luxleaks », qui s’est déroulé du 24 avril au 10 mai 2016 à la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, l’accusé Raphaël Halet, ancien employé de PwC Luxembourg, a fait certaines déclarations étonnantes sur les relations entre son ancien employeur et le Bureau 6 de l’Administration des Contributions Directes.

Le vendredi 29 avril, Raphaël Halet a déclaré devant le tribunal que certaines tâches administratives, qui incombaient pourtant clairement à l’Administration des Contributions Directes, ont été réalisées par PwC luxembourg. Ainsi, durant la période 2011-2014, l’entreprise d’audit aurait préparé d’avance des documents officiels afin de les faire signer par le responsable de l’administration et aurait à cet effet été en possession du papier à en-tête de l’Administration des Contributions Directes. Elle aurait également procédé à l’archivage électronique de documents officiels et aurait transmis ces documents à l’administration à l’aide d’un stick USB. Monsieur Halet a déclaré au tribunal : « Et c’était aussi à nous de scanner les documents, de les mettre sur une clé USB sécurisée avec un mot de passe et de faire le suivi des signatures. Une personne ne faisait que cela durant une semaine.» Une procédure qui a connu des «couacs», selon Paperjam du 29.4.2016, «puisqu’il est arrivé que Marius Kohl et sa secrétaire oublient le mot de passe ou égarent la clé. » Ainsi M. Halet affirma au tribunal : «La procédure a évolué et on a utilisé une plateforme sécurisée d’hébergement à laquelle M. Kohl avait accès pour éviter que les clés USB se baladent.»

Dans un entretien avec Le Quotidien du 16. Mai 2016, Raphaël Halet décrit ses faits de façon suivante : « Comme beaucoup de clients voulaient leur ATA tamponné et signé, et qu’on ne pouvait pas le leur donner, une solution était de leur adresser une lettre de confirmation, à en-tête de l’administration, avec une phrase type. C’est nous chez PwC (et dans les autres fiduciaires) qui les préparions, et Marius Kohl tamponnait ensuite. On faisait le boulot de secrétariat de l’administration. Même chose pour l’archivage : une personne de notre équipe scannait les ATA signés et les renvoyait chez Kohl sur une clé USB. »

Finalement, dans un article du 28 juin 2016, Le Quotidien revient largement sur la question : «  Le cabinet était devenu, en l’absence de tout contrat, un sous-traitant informel du fisc, avec lequel il négociait par ailleurs des rulings. PWC a commencé à rendre ces «services» à l’administration en 2010 et la pratique a perduré jusqu’en 2014, plusieurs mois après le départ en pension de Marius Kohl, à l’automne 2013 ». Dans ce même article, Le Quotidien affirme que Wim Piot, Tax leader de PWC Luxembourg, aurait confirmé lors d’un entretien l’usage de papier en-tête par son cabinet d’audit.

Le même article rappelle que « toutes les prestations effectuées par une société privée pour le compte d’un service de l’État doivent être encadrées par un contrat, une convention » et cite en outre un pénaliste qui « évoque une possible qualification de « corruption active» : « Il a été proposé un travail gratuit au bénéfice de l’administration. Ce travail gratuit a profité à autrui, que ce soit à Monsieur Kohl ou à l’administration qui était dispensée de la nomination d’un fonctionnaire pour effectuer ces tâches. En contrepartie, l’administration a pu traiter un nombre plus important de rulings que ce qu’il pouvait produire sans l’accomplissement de ce travail gratuit. » L’article 247 du code pénal sanctionne le délit de corruption active d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement et de 187 500 euros d’amende. »

Partant, nous aimerions poser à Monsieur le Ministre des Finances les questions suivantes :

1) Est-ce que Monsieur le Ministre peut confirmer que durant la période 2010-2014, ou bien pendant d’autres périodes, certaines tâches administratives incombant à l’Administration des Contributions Directes (ACD) ont été réalisées par PwC Luxembourg, dont la fourniture de projets de décisions ou de lettre de confirmation préimprimées sur du papier en-tête de l’ACD, le scannage et de l’archivage des ATA pour les besoins de l’ACD et autres?

2) Dans l’affirmative de la première question, pouvez-vous nous énumérer toutes les tâches en question effectuées par PwC pour les besoins de l’ACD ou de son bureau 6 et préciser quelles tâches étaient encadrées par une relation contractuelle? Dans la négative, qu’en est-il des faits décrits par M. Halet sous serment et des déclarations de M. Piot dans l’article précité?

3) Toujours dans l’affirmative de la première question, à quel moment Monsieur le Ministre a-t-il pris connaissance de tels pratiques, quel jugement porte-t-il sur ces pratiques, s’agit-il d’un fonctionnement normal d’une administration de l’Etat ou bien d’un dysfonctionnement et quelles démarches a-t-il entrepris à leur encontre en cas de dysfonctionnement?

4) Une enquête interne a-t-elle été lancée ou menée afin de vérifier les propos de Monsieur Halet et, le cas échéant, de clarifier les raisons et les responsabilités pour ces faits ? Si non, pourquoi une telle enquête n’a-t-elle pas été lancée ? Si oui, est-ce que Monsieur le Ministre peut m’informer sur les termes de référence et l’état d’avancement de cette enquête ?

5) Monsieur le Ministre est-il au courant de faits similaires impliquant d’autres cabinets d’audit ou de conseil, soit des autres « Big4 », KPMG, EY ou Deloitte, soit d’autres consultants ?

6) Monsieur le Ministre peut-il affirmer que de telles pratiques ne peuvent plus se produire à l’heure actuelle?

En sus, nous aimerions poser à Monsieur le Ministre de la Justice les questions suivantes :

7) Monsieur le Ministre juge-t-il, concernant les faits susmentionnés, qu’il y a suffisamment d’indices pour présumer une infraction pénale et notamment un délit de corruption active, tel qu’évoqué par le pénaliste cité dans l’article du Quotidien du 28 juin 2016 ?

8) Dans la négative de la question 7, sur quoi se base l’appréciation de Monsieur le Ministre ?

9) Dans l’affirmative de la question 7, Monsieur le Ministre compte-t-il faire usage de son droit d’enjoindre le procureur général d’engager des poursuites, tel que prévu par l’article 19 du Code d’instruction criminelle? Si non, pourquoi ?

 

David Wagner (député)

Marc Baum (député)

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