Pendant des mois le gouvernement grec a négocié avec « les institutions » (Commission européenne, Banque centrale européenne, FMI) pour débloquer les quelques milliards d’euros restant du dernier « plan de sauvetage ». Cet argent n’a jamais été débloqué. Mais s‘il l’avait été, ces milliards auraient servi dans leurs quasi-totalité à payer les intérêts sur les prêts précédents et sur les titres de la dette grecque, qui sont actuellement tenus a 80% par ces trois institutions, ce qui leur fait les premiers créanciers de l’Etat grec.
Depuis 2010 90% de l’argent prêté aux gouvernements grecs a servi à payer les intérêts de la dette : parfois l’argent a été viré directement aux institutions financières, sans même toucher le sol grec. Mais les créanciers ont toujours refusé d’aborder le problème de la dette en tant que telle. Une dette qui au lieu de diminuer, ne cesse d’augmenter avec chaque nouveau prêt.
Mais on commence à aller au fond de la question. La question d’une restructuration de la dette est maintenant mise en avant par le gouvernement grec. Et en avril 2015 le Parlement grec a nommé une « Commission pour la vérité sur la dette grecque. » Cette commission a rendu les 17 et 18 juin un rapport sur ses travaux, que nous allons essayer de résumer ici.
La commission a fait une analyse de la dette publique grecque depuis les années 80, ce qui la conduit à écarter l’idée que la dette grecque venait de dépenses publiques excessives. Son rapport conclut que la dette est due aux taux d’intérêts élevés imposés par des créanciers (surtout des banques françaises et allemandes), aux dépenses militaires excessives et injustifiés, à la perte de revenus fiscaux suite aux fuites illicites des capitaux, à l’argent dépensé par l’Etat pour recapitaliser des banques privées et au déséquilibres créées par la façon dont la monnaie unique a été mise en œuvre.
Le rapport souligne l’impact des conditions imposées par les créanciers. Les mesures d’austérité et les réformes structurelles n’ont pas seulement eu un effet catastrophique sur le niveau de vie et la santé du peuple grec, créant une véritable crise humanitaire: elles ont aussi eu des effets récessionistes conduisant à une baisse du PIB et poussant les gouvernements grecs à emprunter davantage pour faire face aux dettes précédentes. Une véritable spirale infernale qui conduit la commission à conclure que la dette est tout simplement insoutenable et impayable – une conclusion partagée par de nombreux économistes et même par le FMI dans ses moments les plus lucides.
Mais les auteurs du rapport ne s’arrêtent pas là. Ils commencent à examiner dans quelle mesure la dette est aussi illégitime, illégale et odieuse. Beaucoup de gens accepte comme de bon sens les affirmations des créanciers que la dette doit être payée, que si on emprunte de l’argent il faut bien le rembourser. Mais pour les Etats comme pour les individus des dettes encourues suite à des menaces, de l’intimidation et en violant la loi peuvent être contestés. En ce qui concerne les Etats spécifiquement, leur premier devoir est de s’occuper du bien-être de leurs citoyens en respectant les droits fondamentaux.
Ainsi le rapport conclut-il que les prêts venant du FMI, de la BCE, du Fonds européen de stabilité financier (FESF) et d’Etats européens sont illégaux, illégitimes et odieux parce qu’ils violent de diverses façons les statuts de leurs propres organisations, la constitution grec et des traités internationaux. Ils enfreignent aussi les droits de l’homme et les droits sociaux, empêchant en particulier l’Etat grec à décharger ses obligations dans ces domaines. Des considérations semblables s’appliquent aux créanciers privés.
Le rapport conclut par un examen des fondements légaux pour la répudiation et la suspension de la dette souveraine grecque. Il existe en fait une série de justifications légales : la mauvaise foi des créanciers qui ont poussé la Grèce à violer ses lois nationales et ses obligations concernant les droits de l’homme; la primauté des droits de l’homme sur les accords conclus par des gouvernements précédents ; l’utilisation de la coercition ; et le droit de l’Etat grec à prendre des mesures contre des actes illégaux de ses créanciers.
En ce qui concerne la dette insoutenable, la commission cite ce qu’on peut considérer comme le droit le plus fondamental de chaque Etat : d’agir pour sauvegarder les intérêts essentiels de l’Etat et de ses citoyens dans des situations exceptionnelles où ces intérêts sont menacés d’un danger grave et imminent. Dans ce cas l’Etat est dispensé d’obligations qui augmentent le danger. Par exemple le remboursement des dettes.
Quelque soit le résultat du référendum de ce dimanche, le besoin de se défaire du fardeau de la dette restera une question vitale pour la Grèce. Les travaux de cette commission peuvent contribuer à la résoudre.
Murray Smith
Le rapport intégral est disponible sur le site du CADTM en cliquant ici .