Monsieur le Président,
Conformément à l’article 81 du Règlement de la Chambre des Députés, je voudrais poser la question parlementaire urgente suivante à Monsieur le ministre des Affaires étrangères.
Après les attaques criminelles du Hamas sur le sud d’Israël, qui ont causé la mort de centaines de civils, nous assistons aujourd’hui à une escalade de la violence sans précédent dans la région. La situation est particulièrement dramatique dans la bande de Gaza, où le gouvernement israélien a décidé de répondre aux attaques illégales du Hamas par des représailles tout aussi illégales au regard du droit international humanitaire.
Monsieur le ministre n’est pas sans connaître la situation humanitaire dramatique qui existait à Gaza avant cette nouvelle vague de violence. Déjà en 2012, les Nations Unies avaient prédit que Gaza deviendrait invivable à partir de 2020[1]. Aujourd’hui, en raison de la punition collective décidée par les autorités israéliennes, l’enclave est au bord d’une catastrophe.
Ainsi, je voudrais rappeler à Monsieur le ministre les éléments suivants :
- La bande de Gaza compte plus de 2 millions d’habitants sur une superficie de 360 km2, soit environ 1/7 de la superficie du Luxembourg ;
- la bande de Gaza est aujourd’hui soumise à un blocus total, comprenant notamment l’interruption de l’approvisionnement en eau, en nourriture, en médicaments et en carburant, qui constitue non seulement une punition collective de la population civile gazaouie totalement incompatible avec le principe de distinction entre civils et combattants en droit international humanitaire, mais expose également cette population au risque de sa destruction totale ou partielle ;
- la bande de Gaza subit des bombardements d’une intensité inouïe (6000 bombes en 6 jours, soit plus que la moyenne mensuelle des États-Unis en Syrie et en Irak pendant la guerre contre Daech[2]), qui violent tantôt le principe de distinction, tantôt le principe de proportionnalité en droit international humanitaire, et rajoutent à la surmortalité de masse dans l’enclave ;
- les habitants de la bande de Gaza font l’objet de sommations totalement illégales de la part des autorités militaires israéliennes, comme celle demandant à 1,1 millions de Gazaouis de quitter la ville de Gaza en 24 heures, dont le caractère matériellement impossible et inhumain a été relevé par le gouvernement luxembourgeois lui-même ;
- les hauts responsables israéliens, dont une grande partie sont issus d’une extrême droite revendiquant l’objectif d’un « nettoyage ethnique » de la région, multiplient aujourd’hui les affirmations à caractère déshumanisant à l’égard des Palestiniens (« we are fighting human animals »[3]), remettant en cause la distinction entre combattants et civils palestiniens (« It’s not true this rhetoric about civilans [being] not aware, not involved. It’s absolutely not true »[4]), voire ouvertement génocidaires (« They will not receive a drop of water or a single battery until they leave the world »[5]).
Au regard de ces éléments, de plus en plus de chercheurs, juristes et spécialistes en droit international parlent de risque de génocide à Gaza[6]. Cette qualification n’est pas simplement rhétorique. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, à laquelle tant le Luxembourg qu’Israël sont parties, cite en effet cinq types d’actes qui tombent sous la définition de génocide lorsqu’ils sont « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Sont visés en particulier le meurtre de membres du groupe, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, ainsi que la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle.
Sachant que la Convention impose aux États parties non seulement l’obligation de punir le crime de génocide une fois qu’il a eu lieu mais aussi de le prévenir avant qu’il ne soit trop tard, je voudrais poser à Monsieur le Ministre les questions urgentes suivantes :
1) Est-ce que vous envisagez d’émettre une déclaration selon laquelle le Luxembourg, vivement préoccupé par le risque de génocide dans les territoires palestiniens occupés, ne manquera pas de dénoncer de tels crimes auprès de la CPI en vertu de l’article 14 du Statut de Rome au cas où ils seraient commis ?
2) Quelles sont les autres actions que vous pourriez envisager d’entreprendre pour prévenir le risque d’un génocide à Gaza ?
3) Ne pensez-vous pas qu’au regard de la menace existentielle à laquelle fait aujourd’hui face le peuple palestinien, le moment est enfin venu de reconnaître l’État de Palestine, tel qu’il avait été prévu par la Chambre des députés dans une motion adoptée le 17 décembre 2014, dans laquelle le Gouvernement est invité à « reconnaître formellement l’État de Palestine dans les frontières de 1967 uniquement modifiées moyennant accord des deux parties, au moment qui sera jugé le plus opportun » ?
Avec mes salutations respectueuses,
Nathalie Oberweis Députée
[1] Voir : https://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf.
[2] Voir : https://www.washingtonpost.com/world/2023/10/13/israel-rhetoric-gaza-response-retribution-punishment.
[3] Déclaration du Ministre de la défense Yoav Gallant le 9 octobre 2023, https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/defense-minister-announces-complete-siege-of-gaza-no-power-food-or-fuel.
[4] Déclaration du Président de l’État d’Israël, Isaac Herzog, le 13 octobre 2023, https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html?guccounter=2&guce_referrer=aHR0cHM6Ly90aGV3aXJlLmluL3dvcmxkL25vcnRoZXJuLWdhemEtaXNyYWVsLXBhbGVzdGluZS1jb25mbGljdA&guce_referrer_sig=AQAAAL_7FvvOhFYr6VYg_6eMO5qGgzl89cHFLbCZw3_63qYmi7_8t45huFs_F7u8VfI1c7yS8twYHzRnjc7R0iKQKm0sQyLlgoJcl6io4aysXmEdLBhzK3rY7Y7SBhDUYcNVF-tGZfAmNZkCeS3fK8Lzu59wYKI1oJk9-4-qacyxvd7Z.
[5] Tweet du Ministre de l’Énergie de des Infrastructures, Israel Katz, https://twitter.com/Israel_katz/status/1712876230762967222.
[6] Voir, p. ex. : https://jewishcurrents.org/a-textbook-case-of-genocide ; https://www.anbamed.it/2023/10/16/public-statement-scholars-warn-of-potential-genocide-in-gaza.