Dossier de presse
Le « Code de Conduite » des députés, qui sera bientôt voté et deviendra applicable dès l’automne, est certes en progrès apparent par rapport aux règles actuelles qui demandent au député uniquement une déclaration publique sur « ses activités professionnelles ainsi que toute autre fonction ou activité rémunérée », ainsi que sur les « soutiens financiers » reçus de la part d’un tiers. (art. 167 Règlement Chambre).
Pourtant, nous estimons que le Code proposé est loin d’être à la hauteur de ce qui serait nécessaire.
A) Pourquoi faut-il des « députés transparents » ?
Est-ce par « voyeurisme » ? (Alex Bodry, à la presse, dans le contexte de la déclaration des intérêts patrimoniaux, demandée par nous, mais refusée par la Commission des Institutions).
Nous pensons quant à nous que de fortes raisons démocratiques plaident en faveur d’une transparence touchant (uniquement) les aspects économiques de leur vie privée :
Dans une démocratie représentative, les députés prennent les décisions à la place du peuple.
Les députés sont libres des décisions qu’ils prennent – de par la fiction constitutionnelle – « sans en référer à leurs commettants » (électeurs), ce qui en principe est problématique et imposerait déjà institutionnellement un contrôle quant à leur désintéressement.
Ils peuvent en outre continuer d’exercer des activités économiques et poursuivre des intérêts de toute nature pendant leur mandat, sauf s’ils appartiennent à la fonction publique, dont l’exercice est incompatible (à n’importe quel poste, même inférieur) avec l’exercice parallèle du mandat de député – pour des raisons de « séparation des pouvoirs ».
Comme ces députés, qui ne sont pas des députés professionnels, prennent des décisions importantes qui sont influencées – surtout dans le cadre néolibéral actuel – par des intérêts économiques souvent très importants, il s’agit d’organiser une sorte de « séparation de pouvoirs », de cloison contre le pouvoir économique.
Il n’est pas anodin que c’est une résolution de la Chambre dans le cadre du débat de 2011 sur l’affaire Wickrange-Livange concernant les accords préférentiels avec certains promoteurs, qui ait donné lieu à l’élaboration de ce Code de déontologie !
Il est donc important de savoir quels intérêts les députés poursuivent dans la sphère économique pour éviter qu’ils prennent des décisions politiques applicables envers l’ensemble de la population, guidés par leurs intérêts particuliers. Voilà pourquoi il est important que la déclaration d’intérêt soit à la mesure des intérêts en jeu et n’en occulte pas une partie. Il ne faudrait pas que les vrais conflits d’intérêts soient épargnés.
Voilà pourquoi les questions de déontologie vont plus loin qu’un évitement de la corruption directe (prise d’argent ou d’avantages pour prendre des décisions dans un sens déterminé), dont l’effet est de toute façon plus limité dans un cadre parlementaire collectif et public qu’au niveau d’une décision individuelle (Ministre ou Bourgmestre).
B) Le projet soumis à la Chambre
1) Le projet, outre des déclarations de principe louables, mais dénuées d’effet direct, contient des dispositions contre la corruption que nous approuvons en principe:
Interdiction de prendre, dans l’exercice de leur fonction, des cadeaux supérieurs à 150 euros auxquels sont assimilés sur base de l’avis du GRECO « les prises en charge par un tiers de frais de voyage, d’hébergement ou de séjours des députés » – sauf à se poser la question s’il ne faut pas rabaisser la limite.
2) Il est d’autant plus étonnant que ne soit pas interdit, mais continue d’être seulement sujet à déclaration, le « soutien financier, en personnel ou en matériel, venant s’ajouter aux moyens fournis par le Parlement et qui lui sont alloués dans le cadre de ses activités politiques par des tiers, avec indication de l’identité de ces derniers ». Ce d’autant plus que de telles aides directes de la part de personnes morales sont interdites en matière de financement des partis, ce qui rend contournable cette disposition.
Le rapport GRECO (groupe anti-corruption du Conseil de l’Europe) a rendu attentif à ces contradictions avec d’autres dispositions, sans qu’il ne soit tenu compte de ses observations.
3) La déclaration d’intérêt.
a) Elle comprend maintenant une déclaration obligatoire des revenus tirés chaque année :
-d’une activité de salarié ou de travailleur indépendant exercée parallèlement à l’exercice de ses fonction ;
-de toute activité occasionnelle rémunérée excédant 5000.-/an (p.ex. conférences rémunérées…)
-de tout autre soutien financier qui pourrait influencer l’exercice des fonctions de député.
La déclaration comprend aussi les indemnités tirées d’un autre mandat politique (communal) et la pension spéciale ou traitement d’attente comme fonctionnaire, mais ces montants sont de toute façon connus en principe.
Cette déclaration de revenus est cependant fortement limitée :
*Les revenus n’ont pas besoin d’être déclarés avec exactitude.
*Il suffit de les déclarer dans le cadre de 4 tranches annuelles de revenus qui augmentent progressivement: 5.000 – 10.000.-/10.001.- – 50.000.-/50.001-100.000.-/plus de 100.000.- euros jusqu’à l’infini. (4 cases à cocher !)
Le GRECO a critiqué que cette façon de procéder, copiée du règlement du Parlement européen, « ne permet pas de déclarer et d’enregistrer avec précision le détail des ressources (…), à fortiori s’agissant d’un élu qui serait déjà dans les tranches maximales ».
*Les revenus du capital (dividendes, intérêts, loyers) ne sont pas déclarables, contrairement aux revenus du travail.
Le GRECO a critiqué que le projet de Code « ne porte sur le patrimoine des parlementaires, avec les différents éléments mobiliers et immobiliers, les éléments de l’actif et du passif tels qu’emprunts souscrits, les dettes etc. ».
Et il a mis le doigt dans l’œil : « Une réforme en ce sens permettrait au public de mieux savoir pour qui il vote et de renforcer la dissuasion de la corruption de parlementaires. »
Sans exiger la prise en compte du patrimoine des proches, comme le fait également le GRECO, la prise en compte de la loi française du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (loi Cahuzac) aurait réglé le problème, surtout dans un paradis fiscal pour propriétaires et rentiers comme le Luxembourg. La commission des Institutions, y compris l’observateur de l’ADR, n’a rien voulu savoir de cela et a rejeté la proposition de déi Lénk.
b) La déclaration d’intérêts porte aussi sur le champ d’activité du député :
-ses activités professionnelles antérieures à 3 ans avant son entrée en fonction ;
-la participation à des comités ou conseils d’administration d’entreprises, d’associations ou de toute autre activité extérieure, même non rémunérée (si rémunérée, déclaration selon a)
-la participation à une entreprise ou à un partenariat, lorsque des répercussions sont possibles sur la politique publique, ou lorsque cette participation confère au député une influence significative sur les affaires de l’organisme en question.
Surtout la dernière catégorie permet un certain contrôle et a été mise en question jusqu’au dernier moment au sein de la commission.
Le GRECO avait soulevé le problème : « Un parlementaire pourrait par exemple détenir indirectement, par le biais de montages juridiques et de recours à des personnes morales (sociétés de gestion de capital ou de patrimoine), des intérêts dans certains secteurs d’activité. …) Il s’agit de lacunes qui mériteraient d’être comblées, y compris au vu de certains risques additionnels spécifiques au pays. », à savoir les « insuffisances importantes s’agissant de la transparence générale des personnes morales et constructions juridiques ; cf rapport d’évaluation du troisième cycle du GAFI daté de février 2010, pp. 227 et suivantes. »
4) Le lobbying, les conflits d’intérêts
Le Code prévoit des dispositions en matière de conflit d’intérêt:
-Il y a conflit d’intérêt lorsqu’un député a un intérêt personnel qui pourrait influencer indûment l’exercice de ses fonctions. Ceci n’est cependant pas le cas s’il « tire un avantage du seul fait d’appartenir à la population dans son ensemble ou à une large catégorie de personnes ».
-Une déclaration publique de conflit d’intérêt est prévue, mais elle ne tire alors pas à conséquence quant à la participation au vote – expressément : pour préserver les majorités ! Il en est différemment au niveau des communes où la non-participation au vote est prévue!
En matière de lobbying (contacts avec des intérêts publics ou privés), il est prévu une simple déclaration à l’initiative du député et le cas échéant du rapporteur, lorsque les contacts sont susceptibles d’avoir un « impact direct » sur le vote.
Encore un fois, le GRECO a visé juste :
« Comme indiqué lors de la visite, une proportion de parlementaires (moins de 10%) (- c’était avant les élections de 2013 !!!) exercent des professions d’avocats, ou activités similaires de consultant. Ces parlementaires peuvent donc parfois assurer dans le même temps la représentation des intérêts d’autrui et les activités de conseil se retrouvent dès lors être une source de risques liés à des transactions en relation avec des soutiens politiques (par exemple en matière législative). (…) Si le lobbying dans sa forme « classique » est considéré comme absent des activités parlementaires du Luxembourg, il est clair que ces activités de conseil peuvent constituer une « porte dérobée » permettant d’influer sur la réglementation. »
Le GRECO indique, en matière de solutions, qu’ « on peut penser par exemple à l’obligation de déclarer les activités et intérêts représentés, à une interdiction de fonder des structures et sociétés de conseil après la prise de fonction de parlementaire. »
Nous partageons l’idée d’une déclaration de la représentation de grands intérêts économiques, qui serait importante surtout pour éviter que le lobbying classique soit remplacé par l’intervention sur place de députés-« avocats d’affaire ».
Bien sûr on a invoqué le « secret professionnel » à l’encontre d’une telle obligation.
5) Le contrôle, les sanctions
Les fausses déclarations sont assez sévèrement réprimandées, jusqu’à une interdiction de participer pendant 6 mois à des commissions.
Il est aussi fait un rappel au Code Pénal (trafic d’influence).
Un comité consultatif externe est créé.
Le rôle du Président et des organes de la Chambre (Bureau, Conférence des Présidents) est important, le plénum n’intervient pas dans la procédure.
Conclusion
déi Lénk votera contre ce projet qui, malgré les apparences, n’est vraiment pas à la hauteur en matière de lutte contre l’influence de l’économie sur la vie politique.
Le projet est marqué par un capitalisme patrimonial – surdéterminé par la place financière et l’industrie des fonds – dont est complice une bonne partie de la classe politique dont un nombre maintenant jamais atteint de députés a des intérêts directement liés aux propriétaires au pouvoir.
Le dossier de presse est également disponible en PDF