Monsieur le Président,
Dans le journal télévisé de RTL Luxembourg d’hier soir il a été fait référence aux déclarations, sous couvert d’anonymat, d’un ancien sous-officier de l’armée luxembourgeoise déclarant avoir participé, dans le cadre de l’exercice « Oesling 2004 », à un exercice conjoint avec les forces spéciales américaines, la Police, la Gendarmerie et le SREL. L’objectif de cet exercice aurait été de simuler des attentats aux explosifs sur des « mâts » et une charge explosive de 70 kilos aurait été parachutée ensemble avec lui sur le territoire du Luxembourg. Bien-sur, les vrais attentats à la bombe ont été perpétués au Luxembourg peu de temps après sur des mâts électriques.
Cette affirmation, si elle était confirmée par la suite, notamment dans le cadre du procès « Bommeleër », jetterait évidemment un discrédit énorme sur tout ce qui a été dit jusqu’à présent sur l’absence de lien entre la manœuvre « Oesling », les opérations « Stay behind » du SREL et les attentats à la bombe.
Je n’ai pas besoin de vous rappeler que dans un rapport du 7 juillet 2008 la Commission de contrôle du service de renseignement avait tiré les conclusions suivantes :
« Aucun indice ne laisse présager un quelconque lien entre la série d’attentats à la bombe qui a eu lieu au Luxembourg entre 1984 et 1986 et des activités du réseau « Stay behind … »
« Aucun document… ne mentionne une participation du Service de renseignement de l’Etat en général et du réseau « Stay behind » en particulier à l’exercice Oesling 84. »
La Commission a au contraire constaté que les « personnes qui se sont engagées au sein de ce réseau n’ont pas contrevenu aux principes de droit mais au contraire se sont engagées pour une noble tâche et méritent l’estime du pays… ».
Les membres de la commission (MM. Goerens, Fayot, Wolter, Bausch) se sont à l’époque basés sur les pièces qu’on a bien voulu leur montrer et sur les déclarations du Premier Ministre de l’époque, M. Jacques Santer, de l’ancien directeur du SREL, M. Charles Hoffmann, ainsi que du Procureur d’Etat Robert Biever.
Ils ont d’ailleurs affirmé avoir « pu constater la véracité des informations données par le Premier Ministre Jacques Santer à la Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle en ce qui concerne les activités du réseau « Stay behind » le 17 décembre 1990 ». Je vous rappelle que lors de cette réunion la proposition du député André Hoffmann d’instituer une commission parlementaire d’enquête avait été refusée par 9 voix contre 1.
Monsieur le Président,
Egalement au vu de ces faits nouveaux, je suis d’avis que notre mission d’enquête ne doit en aucun cas être prématurément clôturée, comme le suggérent les déclarations de M. le rapporteur de la commission d’enquête sur « Chamber-Aktuell ».
Compte tenu de la déclaration, faite par M. Jacques Santer lors de son audition devant notre commission, qu’il ne faut pas s’attendre à de la transparence lorsqu’il s’agit d’un service de renseignement, il semble de plus en plus évident que notre commission d’enquête se fait mener par le bout du né par les représentants les plus officiels de l’Etat luxembourgeois.
Il devient d’ailleurs de plus en plus apparent que tous les partis ayant appartenu aux différents gouvernements sont impliqués et étaient au courant des activités diverses du service de renseignement tout au long des décennies. La crédulité et l‘indulgence des partis impliqués dans la commission de contrôle parlementaire saute également de plus en plus aux yeux.
Seule une action énergique de la commission d’enquête pourrait encore dissiper l’impression que notre commission d’enquête entend, quant à elle, « noyer le poisson » en se focalisant sur toutes sortes de détails d’organisation, qui ont certes leur importance, mais qui ne touchent pas le fonds de l’affaire, c’est-à-dire les véritables missions et connexions du service de renseignement, et qu’elle prépare, sinon un blanc-seing au SREL analogue à celui de 2008, alors du moins une réforme cosmétique qui ne met pas en question ses modes de fonctionnement véritables et son rôle (s’il devrait en avoir un) dans un Etat démocratique.
Je pense donc qu’il faut maintenant, après des premières auditions de témoins, se mettre au véritable travail de la commission d’enquête, c.-à-d. user de tous les pouvoirs d’investigation dont elle est titulaire, ce qu’elle n’a pas fait jusqu’à présent, p.ex. :
– Nous devrions enfin saisir le fichier des organisations dans la cave du SREL et nous donner les moyens de l’analyser. Nous n’avons pas besoin pour cela de la « clearance » de la part du chef du pouvoir exécutif que nous sommes amenés à contrôler.
-Les responsables administratifs et politiques du SREL devraient nous décrire enfin dans un document écrit, public, les missions que le service a accomplies depuis 2004 : contre-espionnage, contre-terrorisme, potentiel économique, prolifération. D’où viennent les dangers ? Quelles ont été les organisations et activités visées concrètement ? Avec quels résultats ?
-La commission devrait enquêter sur place pour vérifier les données fournies, sur base des fichiers électroniques, des rapports d’activités aux instances politiques, etc .
-La commission devrait auditionner respectivement ré-auditionner sur base de cette enquête, et avant de rendre son rapport, tous les témoins qu’elle estime nécessaires en les rendant attentifs au fait qu’un refus de répondre équivaut à un refus de comparaître.
Je me permets de vous rappeler que j’avais déjà soumis une note avec des suggestions à notre commission en date du 8 janvier 2012.
Je suis aussi d’avis que les conclusions du procès « Bommeleër », une fois qu’il sera terminé, devraient être versées dans notre dossier d’enquête, avec toutes les pièces et toutes les conclusions et actes de procédure. J’avais également demandé lors de la dernière audition que notre Commission se procure tout le dossier judiciaire dans l’affaire de l’écoute Mille sur M. Juncker, comme la loi nous y autorise dans cette affaire déjà clôturée.
Au vu de la brisance de l’affaire et des inquiétudes de l’opinion publique, j’ai décidé de joindre une copie de la présente lettre à la presse.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma parfaite considération.
Serge Urbany
Député