Pour un cessez-le-feu immédiat et la libération des otages !

Face à l’escalade de violence au Proche-Orient, déi Lénk alerte l’opinion publique sur le risque de génocide à Gaza alors que la grande majorité des dirigeants du monde occidental ferment à nouveau les yeux.

De plus en plus d’experts en droit international, des associations humanitaires, des experts de l’ONU et le commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme partagent ce constat. Ce ne sont pas des voix anodines.

déi Lénk tient à rappeler que si le droit à l’existence d’Israël, qui découle de la résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU, est irrévocable, Israël doit se conformer aux conditions de cette résolution concernant les droits de la population arabe et mettre en œuvre les plus de 60 résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU, du Conseil de sécurité, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la 4e Convention de Genève !

Le droit international doit être respecté et les crimes de guerre commis des deux côtés doivent être examinés et sanctionnés. Du côté israélien, il s’agit de crimes de guerre tels que la colonisation des territoires occupés depuis des décennies, la punition collective en cas d’actes terroristes individuels et l’ordre donné aux millions d’habitants de la ville de Gaza de se déplacer vers le sud de l’enclave. Du côté du Hamas, le raid du 7 octobre, pendant lequel toutes les règles possibles et imaginables  du droit international ont été violées, peut être considéré comme un crime contre l’humanité, voire comme un génocide.

D’après la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, le génocide s’entend de l’un des cinq actes qu’elle prévoit, « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », dont « le meurtre de membres du groupe (I), l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe (II) et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle (III) ».

Gaza était déjà au bord du gouffre humanitaire avant les bombardements et le siège total imposé par Israël. En effet, Gaza est assiégée par l’armée israélienne depuis 2007. Les accès par mer, terre et air sont fermés hermétiquement depuis 16 ans. Selon les Nations Unies, la vie à Gaza est invivable depuis 2020, c’est-à-dire que les critères pour subvenir à ses besoins existentiels au quotidien ne sont plus remplis.

Aujourd’hui, cette population assiégée et appauvrie, dans une bande de terre des plus densément peuplées au monde, se retrouve sous la pluie de bombes incessantes et la population civile ne peut se mettre à l’abri nulle part. Aujourd’hui, une personne à Gaza ne dispose que d’un litre d’eau par jour, alors que la recommandation de l’OMS est de 20 litres pour répondre aux besoins fondamentaux d’hydratation et d’hygiène personnelle.

La guerre menée par le gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou n’est pas seulement une guerre contre le Hamas. Une guerre contre le Hamas ne devrait pas viser des hôpitaux, des églises et mosquées, des écoles et boulangeries ! Une guerre contre le Hamas ne devrait pas viser les civils en train de fuir sur les routes ! Une guerre contre le Hamas ne devrait pas imposer un siège total en empêchant l’eau, la nourriture et le carburant nécessaires au fonctionnement des hôpitaux d’entrer dans cette enclave assiégée ! Une guerre contre le Hamas ne devrait pas tuer quotidiennement des Palestiniens en Cisjordanie occupée, territoire que le Hamas ne dirige pas !

Par conséquent, déi Lénk demande avec insistance que les gouvernements européens et en l’occurrence le gouvernement luxembourgeois, interviennent auprès des organes compétents de l’ONU, y compris la Cour internationale de Justice, compétente sur la base de la Convention sur le génocide de 1948, afin que ceux-ci ordonnent les mesures urgentes qui s’imposent, notamment un cessez-le-feu immédiat, la levée du blocus par Israël et la libération des otages par le Hamas.

Débat: Proche-Orient

Texte de débat sur la situation au Proche-Orient.

Le texte ci-dessous a servi pour alimenter un travail d’approfondissement et de débat sur le Proche-Orient au sein de la Coordination Nationale de déi Lénk au printemps 2021. Il reste un document de débat et est ici publié comme tel. Les idées et observations y exprimées ne sont donc pas toujours et nécessairement identiques à celles du mouvement ou de la sensibilité politique de déi Lénk. Néanmoins, la Coordination Nationale espère que la diffusion de ce document aide aussi à mener un débat au sein du grand public sur un conflit dramatique qui mérite une attention politique particulière.

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  1. Introduction

Dimanche, 13 juin 2021, Naftali Bennett est devenu premier ministre d’Israël, prenant ainsi le relais après 12 ans de règne ininterrompu de Benyamin Netanyahu. Bennett, ancien chef du cabinet et figure phare du mouvement d’extrême droite, et son partenaire principal Yair Lapid cherchent ainsi à mettre fin à un impasse politique qui a causé 4 élections en 2 ans, en s’appuyant sur une large coalition qui inclut des partis des colons ainsi que des israélien.ne.s arabes, la droite dure et les partis de gauche. Comme l’observait Thomas Vescovi lors d’un récent Vendredi Rouge sur les gauches en Israël, il fait preuve tant de la complexité de la politique israélienne que de leur droitisation générale, que quelqu’un comme Bennett, encore marginalisé parce que trop proche du fascisme il y a dix ans, devienne aujourd’hui l’espoir d’un Israël meilleur soutenu et par la gauche et par le parti des Palestinien.e.s israélien.ne.s. 

Du côté des territoires palestiniens occupés, un changement de personnel politique reste loin après l’annulation des élections prévues pour le 22 mai 2021, qui auraient dû être les premières depuis 2006. Alors que le Hamas semble consolider sa position de force, le Fatah s’entredéchire entre trois factions définies par le Carnegie Endowment for International Peace comme « Mahmoud Abbas’ “Storm,” Marwan Al Barghouti’s “Liberty,” and Mohammed Dahlan’s “Future.” »[1], soutenues par différents acteurs internationaux, tel l’Égypte ou la Jordanie. Dans ce contexte, note Alain Gresh, l’annulation des élections par Abbas était « une décision motivée par la crainte d’être désavoué par le vote populaire et par le refus d’Israël de permettre la tenue du scrutin à Jérusalem-Est. »[2]

Dans cette situation de chemins institutionnels épuisées, l’intensification du régime sécuritaire et militaire israélien et la continuation de la prise de terrain et de manque de respect envers les droits humains des Palestinien.ne.s suscite des réaction violentes, avec un potentiel d’escalade important, récemment démontré par les confrontations armées de mai 2021.

Comment agir en tant que mouvement politique de gauche luxembourgeois dans ce contexte ? Comment, surtout, éviter de reproduire des préjugés ou clichés tant antisémites qu’islamophobes, comment ne pas tomber dans un prétendu antisionisme anticolonial tout en pérennant, en général inconsciemment, une position non moins paternaliste, prescrivant aux Israéliennes et Palestinien.ne.s en détails la « solution » au conflit au Proche-Orient ? Pour répondre à ces questions, un court retour sur le contexte historique et la situation actuelle sont de mise.

2. Contexte historique : De la Déclaration Balfour aux intifadas

L’existence d’Israël en tant qu’État réel situé au Proche-Orient est souvent retracé à la Déclaration Balfour, une lettre du secrétaire d’État Britannique aux Affaire Étrangères Arthur Balfour à Fédération Sioniste daté du 2 novembre 1917. Dans cette lettre, la région de Palestine est décrite comme « un foyer national pour le peuple juif » et la « sympathie » du gouvernement britannique envers les « aspiration juives sionistes » dans la région est exprimée aussi bien que l’observation que les droits civiques et religieux des « communautés non-juives de Palestine » doivent être respectés.

Or, au moment de la Déclaration Balfour, la Palestine fait encore parti de l’Empire Ottoman et les sympathies sionistes exprimées ne donneront pas pour autant suite à des actions de la même sorte quand, après la première guerre mondiale, la France et le Royaume-Uni s’accaparent du Proche-Orient. En fait, entre 1915 et 1916, donc avant la lettre de Balfour, dans une correspondance entre le Haut-Commissaire britannique en Égypte, Henry MacMahon, et le Chérif de La Mecque, Hussein Ben Ali, le Royaume-Uni se montre favorable à la création d’un califat arabe qui inclurait les territoires palestiniens, si les Hachémites s’allient aux Britanniques.

Écrit autant pour mobiliser les colons juifs à prendre armes contre les Ottomans qu’à convaincre d’importantes figures politiques américaines sionistes à soutenir l’effort de guerre, la Déclaration Balfour est donc dès sa rédaction une lettre morte en termes géopolitiques. Néanmoins, elle devient vite une pièce de légitimation importante pour le mouvement juif qui veut y voir une première étape sur le chemin d’une reconnaissance internationale d’un état juif. 

En 1921, le troisième congrès de la ComIntern condamne le sionisme comme un instrument impérialiste britannique, tout en réitérant sa critique du sionisme comme idéologie petit-bourgeois, nationaliste et colonialiste. L’URSS, issue de la Russie qui connait encore les pogroms, n’a émancipé les juifs qu’en 1917 et craint de perdre son influence dans le Proche-Orient, s’oppose à l’appropriation de la région par le Royaume-Uni et la France.

Dès le début, la transformation de la province ottomane de Palestine en territoire(s) nationaux indépendants est donc une question de politique internationale à double jeu qui met en opposition arabes et juifs. Quand, suite à des années de révoltes armés arabes et juives, ce jeu devient trop difficile à contrôler, un Royaume-Uni affaibli remet la situation entre les mains des nouvellement crées Organisation des Nations Unies. Le 29 novembre 1947, l’UNO approuve le plan de partage de Palestine (Résolution 181) qui prévoit le partage de la Palestine dans deux états séparés et un Jérusalem placé sous contrôle international. Le plan est rejeté par les différentes organisations arabes. Le Royaume-Uni met fin à son mandat et quitte la Palestine le 15 mai 1948. Le même jour, David Ben-Gourion proclame l’état d’Israël. La même nuit, la première guerre israélo-arabe ensuit, qui se termine en 1949 avec la victoire des forces juives qui finissent par occuper considérablement plus de territoire que prévue par la résolution 181. Au cours de la guerre, désormais connu dans les communautés arabes sous le nome de nakhba (catastrophe), des milliers de palestinien.ne.s arbes sont forcé.e.s de quitter leur patrie, emmenant avec eux les clés de leurs maisons qui deviennent ainsi le symbole de l’espoir du retour en Palestine.

Dans les prochaines décennies, d’autres guerres israélo-arabes suivent, dont notamment la troisième guerre, ou « Guerre de Six Jours » du 5 au 10 juin 1967, au cours de laquelle Israël occupe le Golan, Jérusalem-Est, la Cisjordanie, Gaza et le Sinaï. Alors qu’Israël retourne le Sinaï à l’Égypte en 1982 (suite au contrat de paix entre les deux pays), et se retire du Gaza en 2005, le pays continue d’occuper les autres territoires énumérés à ce jour. 

Alors qu’Israël continue de connaitre nombreuses condamnations par les Nations Unis en relation à son occupation militaire et respect insuffisant des droits de l’homme des palestinien.ne.s, un statut spécial revient à la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Votée le 22 novembre 1967 (et réaffirmée de force par la résolution 338 du 22 octobre 1973), cette résolution réclame une fin de l’occupation des territoires palestiniens, définie sur base des frontières d’avant la guerre de six jours, ainsi qu’une reconnaissance mutuelle de deux états indépendants et un règlement juste concernant le retour des réfugié.e.s palestinien.ne.s. Cette résolution sera à la base des négociations de paix avec l’Égypte (1979) et la Jordanie (1994), ainsi que des Accords d’Oslo I (1993), Oslo II (1995) ­­­– qui donneront une certaine autonomie aux territoires occupés–avec la PLO de Yassir Arafat, et la Roadmap for Peace publiée en 2002. Elle définira la fameuse « ligne verte », tracé en encre verte pour démarquer sur des cartes la ligne d’armistice de 1949, plus connue comme « frontière de 1967 », qui servira de base pour toutes les propositions revendiquant la création de deux états jusqu’au Deal of the Century de Donald Trump.

Entre les accords avec l’Égypte et la Jordanie, et les accords dites d’Abraham qui normaliseront les relations entre Israël et les Émirats Arabes Unis en 2020 (et d’autres pays par suite), ce sont des acteurs du niveau sub-étatique qui deviennent et resteront les opposants principaux à la politique d’occupation d’Israël. Dans ce contexte non-étatique, dont le PLO de Yassir Arafat déjà évoqué est longtemps l’acteur principal, une opposition populaire se développe qui culminera notamment dans les intifadas (soulèvements) de 1987 à 1993 et de 2000 à 2004 (qui aboutira entre autres dans la construction d’une barrière de séparation à partir de 2002). 

Comme dans d’autres régions à travers le monde, les dernières années de la guerre froide et la nouvelle époque néo-libérale (économiquement) et néo-conservative (politiquement) voit un basculement des antagonismes principales du niveau inter-étatique au niveau social. Dans ce contexte, non seulement les groupes d’opposition populaires deviennent plus importants, mais aussi d’autres organisations non-étatiques (ONG), actives autant dans les nombreux camps de réfugié.e.s palestinien.ne.s de la région (d’une échelle suffisamment grande pour être posée depuis 1949 sous l’égide d’un organe internationale y consacré entièrement : UNRWA ou « Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient ») qu’en Israël et autres pays du monde. 

3. Sur la situation actuelle en Palestine

Ce qui se passe en Palestine en ce moment constitue un tournant. Inutile de spéculer sur les contours exacts d’une troisième Intifada. On verra. De toute façon, la deuxième Intifada était déjà assez différente de la première et le mouvement actuel présente également des aspects originaux. 

Ce qui importe en ce moment, c’est de comprendre ce qui se passe, ce qui est nouveau, ce que cela peut impliquer pour la gauche radicale et le mouvement de solidarité avec la Palestine.

La mobilisation de mai 2021 a eu deux étincelles, toutes les deux à Jérusalem. D’abord la poursuite du nettoyage ethnique de Jérusalem-Est dans le quartier de Sheikh Jarrah ; ensuite les incursions à répétition de la police israélienne et des colons dans la mosquée d’Al Aqsa, en plein mois de Ramadan.

La suite a vu se mobiliser d’abord les Palestiniens citoyens d’Israël et ceux de Jérusalem, ensuite ceux de la Cisjordanie. Enfin le Hamas a lancé 4,000 missiles à partir de Gaza. Au passage, ce serait sans doute une erreur de penser qu’il s’agissait simplement d’une initiative militaire décidée en haut par la direction du Hamas. Il semble bien que la population la soutînt et même l’exigeait comme riposte aux agressions à Jérusalem, tout en connaissant la réponse israélienne prévisible. Nous avons donc vu la mobilisation de trois composantes du peuple palestinien : Cisjordanie-Jérusalem, Gaza, Israël propre. Nous avons aussi vu, fait nouveau, la quatrième composante, les réfugiés vivant au Liban et en Jordanie, qui ont même réussi brièvement à franchir les frontières. L’aspect le plus frappant était le rôle important joué par les Palestiniens d’Israël.

Ecoutons Mourad Haddad, Palestinien citoyen d’Israël qui milite au sein du Front Hadash.

“Nous ne sommes pas des ‘Arabes israéliens’, comme Israël a cherché à nous faire dire depuis 73 ans. Nous avons toujours dit que nous ne pouvons pas être déconnectés de notre peuple et de notre identité. Notre identité palestinienne ne peut pas nous être volée. Je ne suis pas fier de ma carte d’identité israélienne. Je suis palestinien. Si quelque chose arrive à Jérusalem, elle arrivera à Gaza, Shefa ‘Amr, Haïfa, dans les camps de réfugiés dans le monde arabe et en Cisjordanie. Ce n’est pas naturel que Gaza soit bombardée et que les gens de Shefa ‘Amr dorment bien comme si rien n’était.” 

Haddad a 30 ans de militantisme derrière lui. Mais un des éléments marquants du mouvement est la montée d’une nouvelle génération palestinienne, à l’image des jumeaux al-Kurdi, 23 ans, qui jouent un rôle dirigeant à Sheikh Jarrah. Et ils apprennent vite. Quand un journaliste a demandé à Mohammed al-Kurdi s’il soutenait les protestations « violentes » en solidarité avec les Palestiniens de Sheikh Jarrah, il a répondu : « est-ce que vous soutenez la dépossession violente de moi-même et de ma famille ? »

L’arrivée de cette nouvelle génération est un des éléments clefs dans le mouvement actuel. L’autre réside dans l’ ampleur même de la mobilisation, son caractère vraiment national. Malgré le fait que le peuple palestinien est divisé entre des composantes qui vivent des situations différentes et qui ont par conséquent des statuts différents. Les Palestiniens de Cisjordanie vivent sous une occupation qui se combine avec l’installation de plus en plus intensive de colonies juives. Aujourd’hui il y a environ 635,000 colons juifs en Cisjordanie et Jérusalem-Est. Au début du « processus de paix » en 1993 ils étaient 200,000. 

Gaza est une prison à ciel ouvert. Israël s’en est retiré uniquement dans le but de ne pas l’occuper en permanence. Mais il contrôle tout – ce qui sort, ce qui rentre, les livraisons alimentaires, de médicaments, la fourniture d’électricité, etc. Sans parler des invasions terrestres en 2008-09 et 2014 et des derniers bombardements. 

Les Palestiniens qui vivent en Israël ont la citoyenneté israélienne, ils peuvent voter. Il fut un temps où beaucoup d’entre eux se définissaient comme Arabes israéliens, ou citoyens arabes d’Israël. Aujourd’hui la grande majorité, comme Mourad Haddad, se considère simplement comme Palestinienne. La vie leur a appris la réalité de leur situation de citoyens de deuxième classe et la Loi fondamentale de 2018 a donné force légale a cette réalité. Israël est formellement défini comme un État juif et il est précisé que le principe d’autodétermination s’applique uniquement aux Juifs. 

Le fait d’agir en tant que Palestiniens, comme un seul peuple, s’est manifesté très clairement au moment de la grève générale du 18 mai, la grève la plus importante depuis 1936, qui avait un fort aspect de fête nationale. 

Quel que soit l’avenir de la Résistance palestinienne, on peut fixer quelques points déjà.

Il s’agit d’un mouvement pour la libération de la Palestine. « From the river to the sea, Palestine will be free”. C’est l’essentiel. Le chemin, les étapes éventuelles, les formes d’État plus ou moins provisoires, plus ou moins permanentes, cela vient après.

Une grande partie de la gauche occidentale continue à prôner une solution à deux États. Il est temps – en réalité il est plus que temps – de reconsidérer l’actualité de cette revendication. Dès sa création en 1964, l’OLP avait prôné un seul État palestinien démocratique. En 1988 elle annonce sa reconnaissance de l’État d’Israël. Ainsi se préparait le « processus de paix » qui s’est concrétisé dans les Accords d’Oslo en 1993. Le résultat en a été que la direction de l’OLP est revenue d’exil et que les principales villes de Cisjordanie sont passées sous la gestion de l’Autorité palestinienne nouvellement créée. Cela devait être le premier pas vers la création d’un État palestinien à côté de l’État d’Israël. Mais ce ne l’était pas. Les dernières négociations à peu près sérieuses, qui ont eu lieu avec le dernier gouvernement travailliste dirigé par Ehud Barak (Camp David 2000, Taba, janvier 2001), ont été de fait le dernier signe de vie d’Oslo. Leur échec et la provocation de Sharon à la mosquée Al Aqsa (septembre 2000) ont conduit à la deuxième Intifada.

Les négociations de Camp David ont été sérieuses seulement dans le sens que les Israéliens voulaient vraiment un accord. Encore faut-il regarder de près quel type d’accord ils voulaient. A l’époque, on annonçait que les négociations avaient échoué sur les questions de continuité territoriale, Jérusalem, le retour des réfugiés. Passons sur le droit au retour des réfugiés. Pour Israël, cela a toujours été l’interdit des interdits, car ce serait annuler l’acte fondateur de l’État d’Israël, la Nakba. 

Pourquoi les deux autres points ont-ils créé un blocage ?

Les Israéliens n’allaient pas accepter Jérusalem comme capitale partagée, l’Est aux Palestiniens, l’Ouest à Israël. Ils voulaient la ville entière comme leur « capital éternelle » . A la limite ils auraient pu accepter de laisser une population palestinienne continuer à vivre à l’Est. Mais c’est la question de continuité territoriale qui va au cœur du problème. Les Israéliens voulaient bien donner un territoire aux Palestiniens, même lui accorder le nom d’État. Mais d’abord ils n’allaient pas donner toute la Cisjordanie. Jamais ils n’ont pensé à faire ça. Il est intéressant de regarder le Plan Allon, préparé à la suite de la guerre de 1967. La proposition était qu’Israël garde la totalité de la rive ouest du Jourdain et que le reste de la Cisjordanie soit coupée en deux par Jérusalem et le bloc de colonies Goush Etzion (déjà les colonies…), qui seraient annexées par Israël. En 1973 Moshé Dayan envisageait même l’annexion de Ramallah et Bethlehem, en accordant la citoyenneté israélienne à leurs habitants. Mais quelques soient les variants une idée centrale était constante : Une entité palestinienne ne couvrirait pas la totalité de la Cisjordanie et serait coupée en deux (au moins). Ce qui mènerait à un « État » charcuté et entièrement entouré par Israël. Un État non-souverain, sans doute démilitarisé, où Israël pourrait intervenir à volonté. Un bantoustan. Gaza sans la plage. 

Dans l’essentiel, c’est ce qui a été sur la table à Oslo. Que les Palestiniens aient pu imaginer autre chose, c’est possible. Cela dépend de qui. En ce qui concerne Arafat, il est clair qu’il voyait la perspective d’un mini-État comme une étape, une rampe de lancement vers la libération de toute la Palestine, pas comme une solution en soi. Il a refusé les propositions d’Israël « parce qu’il n’était pas prêt à signer un accord final avec l’État juif. Il était bien conscient qu’un tel accord le ferait passer dans l’Histoire comme un traître parce qu’il aurait été obligé d’abandonner le droit au retour des réfugiés et la plupart de la souveraineté sur Jérusalem-Est » (témoignage du journaliste Abdel Bari Atwan). Face à l’échec de Camp David il soutenait la résistance des Palestiniens, y compris armée, mais discrètement. II a écrit en novembre 2000 à Marwan Barghouti (voir ci-dessous) : « Chaque fois que vous m’entendez déclarer un cessez-le-feu et un arrêt des violences, ne tenez aucun compte de ces déclarations. Je suis sous énormément de pressions, venant des États-Unis et d’Europe. Vous devrez n’en tenir aucun compte et continuer ». Arafat avait ses limites et il a pu se tromper, Mais ce n’était ni un imbécile ni un traître. Ce que les Israéliens ont bien compris. La réunion du cabinet de sécurité du gouvernement israélien du 11 septembre 2003 a décidé qu’”Israël agira pour enlever cet obstacle [Arafat] à la manière, au moment, et avec les moyens qui seront décidés séparément”. Arafat est décédé en 2004, dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées complètement.

La situation d’aujourd’hui est bien pire qu’à l’époque de Camp David. Aujourd’hui, la Cisjordanie est entrecoupée par plus de 200 colonies juives. Les Palestiniens vivent dans 165 enclaves, qui ne représentent que 40% de la Cisjordanie. Ils doivent subir des contrôles, des barrières, des couvre-feux, le Mur, des routes réservées aux Juifs, etc. La conséquence est que la Cisjordanie ressemble à un morceau de gruyère : des ilots/cantons palestiniens entourés par des colonies israéliennes dont la construction continue sans arrêt, avec expulsion des Palestiniens et démolition de leurs maisons. Sans parler du harcèlement permanente des colons, qui brûlent les champs, détruisent les oliviers, assassinent des Palestiniens, tout cela sous la protection de l’armée israélienne, Tsahal. En ce qui concerne Jérusalem, la judaïsation et le nettoyage ethnique avancent à grands pas. La possibilité qu’Israël bouge sur la question de Jérusalem ou sur le démantèlement des colonies en Cisjordanie est proche de zéro. Sur ce dernier point il n’est pas inutile de poser la question : qui démantèlerait les colonies ? L’armée israélienne ? Inimaginable. 

Imaginons quand même un instant que la solution de deux États se réalise et qu’il existe un État palestinien comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza. Sur 22% de la Palestine historique, avec une population de 5 millions de personnes, sans parler des réfugiés qui pourraient affluer. Et qu’Israël garde les 78% restant avec 6,7 millions de Juifs et une minorité de deux millions de Palestiniens. C’est tenable ? Pas pour longtemps. Comme une étape transitoire, peut-être. Mais c’est de la politique-fiction. Il n’y aura pas deux États. Pourtant on risque d’entendre parler beaucoup dans la prochaine période d’une telle « solution », de la part des dirigeants politiques américains et européens, des media, des organisations internationales et sans doute de l’Autorité palestinienne. Mais ce sera pour démobiliser et détourner le mouvement palestinien, en refusant d’aller à la racine, de mettre en cause le projet sioniste. Il n’est pas évident que la gauche ait un intérêt à contribuer à un tel cirque.

La colonisation de la Cisjordanie, la judaïsation de Jérusalem, le refus du droit au retour, sont des clefs de voûte de l’édifice sioniste. Israël ne cèderait que face à la force majeure. Il faut donc construire un rapport de forces.

Qui peut construire ce rapport de forces ? D’abord les Palestiniens, évidemment . Ensuite leurs alliés. Qui sont-ils ? Il y a d’abord les Juifs israéliens qui soutiennent les droits des Palestiniens. Il faut avouer qu’ils sont relativement peu, ce qu’ils reconnaissent eux-mêmes, notamment dans une lettre ouverte de soutien aux Palestiniens du 21 mai 2021, signée par plus de 500 d’entre eux (voir plus loin). La société israélienne s’est beaucoup droitisée ces dernières décennies, ce qui mérite d’être analysé sérieusement. Mais pour l’avenir il est très important qu’ils existent comme point de référence pour la population juive, surtout les jeunes. Et malgré tout, des milliers des Juifs israéliens sont descendus dans la rue en 2018 contre la Loi fondamentale.

Ensuite il y a le monde arabe, qui contient une énorme réserve de solidarité avec la Palestine, laquelle est bridée par les régimes autoritaires du Moyen-Orient : ceux-ci rendent ainsi un énorme service à Israël. L’Égypte avant tout. Mais pendant le Printemps arabe, partout où la chape de plomb était levée, on a vu fleurir des drapeaux palestiniens. En plus, il y a deux exceptions qui peuvent se révéler importantes. Ce sont le Liban et la Jordanie, qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés palestiniens. Le Liban, malgré tous les problèmes qui le confrontent, est une démocratie. La monarchie jordanienne, quelque peu fragilisée, ne serait pas forcement capable de résister à des mobilisations d’une population dont plus de la moitié est d’origine palestinienne. Et puis il y a le mouvement de solidarité international. Avant d’en parler retournons en Israël-Palestine. 

On ne le dira jamais assez, Israël est un État né de la réalisation d’un projet de colonisation. À l’origine il s’agissait d’un projet parmi d’autres en réponse à la persécution des Juifs en Europe et tout particulièrement dans l’Empire russe. Le problème n’était pas le fait d’émigrer en Palestine plutôt qu’aux États-Unis, en Angleterre ou en France. Le problème était le projet d’un État juif qui impliquerait la colonisation et le déplacement de la population indigène. Passons sur le mythe d’un pays sans peuple pour un peuple sans pays. C’était évidemment un mensonge, mais derrière il y avait l’idée que le peuple qui y vivait n’avait aucun droit, aucune valeur. C’était un bon exemple de la mentalité colonialiste européenne de l’époque. On le voit bien dans la Déclaration de Balfour de 1917 et encore plus clairement dans une déclaration du même Balfour de 1919 : « En Palestine nous ne proposons même pas de passer par la formalité de consulter les souhaits des habitants actuels du pays », car le sionisme avait des revendications « de beaucoup plus de poids que les désirs et les préjugés des 700,000 Arabes qui vivent aujourd’hui dans ce pays ancien ».

La colonisation sioniste avait déjà commencé avant 1917 : on la date généralement de 1882. Avant cette date il existait une population juive de 25,000 personnes, installée de longue date, essentiellement des Juifs orientaux. En 1914, la population juive de Palestine était de 80,000, 10%. Sous la protection de l’Empire britannique, le flux d’immigration s’accélérait après 1917. Et encore plus après l’Holocauste. Le grand soulèvement arabe de 1936-39 contre la colonisation sioniste était réprimé par l’armée britannique. 

Il mérité d’être soulignée, pourtant, que parmi les Juifs d’Europe avant l’Holocauste, le sionisme ne représentait ni le courant majoritaire ni un courant de gauche. Le courant dominant dans l’Empire russe était le Bund, socialiste, qui défendait une perspective d’autonomie culturelle dans le cadre d’un large territoire faisant alors partie de l’Empire russe.

Au moment en 1948 où les sionistes étaient prêts à établir un État, il fallait passer de la colonisation rampante à un déplacement de population de grande ampleur. C’était la Nakba, l’expulsion de 750,000 Palestiniens, plus que le nombre de colons juifs en Palestine à l’époque. Pendant longtemps les sionistes ont réussi à couvrir ce crime en disant que les Palestiniens sont partis volontairement et que les pays arabes les avaient appelés à partir. Ni l’une ni l’autre affirmation n’était vraie.

Le discours dominant en Occident sur Israël-Palestine part de l’idée qu’il y a d’un côté «Israël» et de l’autre des « Territoires occupés ». Le premier étant légitime et le deuxième, l’occupation de 1967 et surtout la colonisation qui s‘est ensuivie, illégitime. Mais en réalité tout le territoire d’Israël consiste de territoires occupés : simplement, certains ont été occupés avant 1914, d’autres après 1917, d’autres encore après 1948. Et en réalité ce qui a été fait en 1948 était le pire. On a expulsé 750,000 personnes non simplement de leur maison ou leur terre, mais de leur pays. En 1967 on a occupé des territoires, mais on n’a pas expulsé les habitants vers la Jordanie ou le Liban. On a simplement commencé à grignoter inexorablement leurs terres par un processus de colonisation rampante tout en se servant d’eux comme main d’œuvre pour l’économie israélienne et les colons. Mais ils sont encore en Palestine. On peut penser que c’était une grosse erreur de la part d’Israël.

Aujourd’hui, il y a dans les territoires de la Palestine historique environ 6,7 millions de Juifs et 7 millions de Palestiniens. C’est un problème pour Israël. L’environnement international et la vitesse de la circulation de l’information rend probablement impossible un remake de la Nakba. Mais il ne faut pas exclure des expulsions en série. Autrement, qu’est-ce qui reste ?Déjà en 1968, analysant la situation après la guerre de 1967, Maxime Rodinson, grand spécialiste marxiste du Moyen-Orient, avait bien résumé le problème. Soit on donne le droit de vote aux Arabes de Cisjordanie, Jérusalem, Gaza. Dans quel cas, plus de majorité juive, plus d’État juif. Soit les Arabes seront traités de citoyens de deuxième classe, la discrimination deviendra institutionnelle, une politique comme celle d’Afrique du Sud sera introduite. Tout est dit. L’un ou l’autre. Tertium non datur. Pour dire les choses crûment, démocratie ou apartheid. Ce mot semble encore faire peur. Pourtant Ehud Barak avait déjà dit que si les négociations échouaient, Israël pourrait devenir un État d’apartheid. John Kerry a dit la même chose après l’échec prévisible des pourparlers qu’il a menés en 2013-2014. Aujourd’hui le terme est utilisé par Human Rights Watch (rapport du 27 avril 2021), ainsi que par les organisations israéliennes de défense des droits de l’homme que sont Yesh Din et B’Tselem. Hagai El-Ad, Directeur général de B’Tselem, a déclaré: «Israël n’est pas une démocratie engagée dans une occupation temporaire. C’est un seul régime entre le Jourdain et la mer Méditerranée, et nous devons avoir une vision d’ensemble et le reconnaître pour ce qu’il est: l’apartheid.» 

L’Irlande a eu le grand mérité d’être le premier pays (mais espérons-le, pas le dernier), à condamner l’annexion de fait des « Territoires occupés ». C’est très important. Car si les Territoires ont été annexés, on a deux choix. On peut exiger un retour au statu quo ante, celui de territoires occupés, ce qui serait une impasse. Ou les Palestiniens peuvent dire : puisque nous sommes de fait sujets d’Israël, on peut exiger d’être citoyens de jure, avec notamment le droit de vote. La deuxième démarche semble plus fructueuse. En comparaison, simplement reconnaître un État palestinien qui n’existe pas encore a une certaine valeur, en affirmant le droit des Palestiniens à avoir un État, mais cela reste limité. L’OLP a proclame l’État de Palestine en 1988. Trente-trois ans plus tard, cet État reste virtuel. Qu’Israël accepte de donner à l’Autorité palestinienne le statut d’un État– on peut imaginer que cela se fasse sous pression américaine – en soi ne changerait rien.

Donc, les Israéliens ont fait le deuxième choix préconisé par Rodinson et cela a mené à l’apartheid. Évidemment la situation en Israël-Palestine n’est pas identique à celle en Afrique du Sud. Aucune analogie colle parfaitement. Mais l’essentiel est là. D’un côté il y a un peuple qui a tous les droits, et un autre qui subit toute sorte de discriminations. Le site légal adalah.org a recensé 65 lois israéliennes qui discriminent  les Palestiniens. Celle qui attire le plus d’attention en ce moment est la loi qui stipule que tout Juif pouvant démontrer qu’il avait vécu dans une maison en 1948 (notamment à Jérusalem-Est) peut la reprendre, en expulsant des Palestiniens qui sont là depuis 70 ans. Cela s’applique aussi à ses descendants ou à ceux qui auraient acheté le bail… Cette loi s’applique uniquement aux Juifs, bien sûr. Un Palestinien expulsé de sa maison en 1948 n’a aucun droit à la reprendre.

Israël serait donc dans une position de force ? Oui et non. Oui, l’État a tous les moyens de répression qu’il faut pour maintenir le statu quo. Et il n’hésite pas à faire couler le sang. Mais sa marge de manœuvre est quand même limitée, car il y a des contraintes à la répression, surtout si on voit les choses d’un point de vue international et si on tient compte du poids de l’opinion internationale. Gaza a été un échec pour Israël. Onze jours de bombardement et 254 morts. Et le monde entier savait en temps réel combien de civils, combien d’enfants, sont morts. Israël aurait voulu faire payer à Gaza plus cher que ça. L’ État d’Israël est donc fort, mais potentiellement vulnérable, comme on le verra. 

Depuis le cessez-le-feu Israël accélère la répression. Des milliers d’interpellations, dont un millier à Jérusalem, et beaucoup parmi les Palestiniens d’Israël. En Cisjordanie les Israéliens travaillent en tandem avec les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. La fonction de l’AP est de gérer l’occupation et réprimer les militants qui lui résistent. Il y a des témoignages d’arrestations et de tortures. Ce n’est pas par hasard que l’AP reçoit des fonds des États Unis et d’Europe alors qu’une des conditions pour l’aide à Gaza est que le Hamas ne touche pas un centime. Certains responsables israéliens parlent même de faire passer l’aide qatarie au Hamas par l’AP. Derrière les plans d’aide et de reconstructions de Gaza il reste la réalité que les Israéliens, quitte à ne plus pouvoir les bombarder, bloquent les points d’entrée, rationnent les produits alimentaires (à un « niveau humanitaire de base », selon le ministre de la Défense israélien du gouvernement Netanyahu), organisent des coupures d’eau et d’électricité. C’est la vie quotidienne à Gaza.

En Cisjordanie l’AP collabore donc avec l’occupation. Ce n’est pas si étonnant. Chaque occupation produit de la résistance, qui est valorisée par la suite. Il suffit de penser à la Deuxième Guerre mondiale en Europe. Mais chaque occupation produit aussi de la collaboration, qu’on préfère oublier après. Et l’AP collabore avec les forces de sécurité israéliennes. C’est un fait. C’est inscrit dans les Accords d’Oslo de 1993. Quelle ironie. De ces accords, il ne reste pas grand-chose, surtout en ce qui concerne le point central, la création d’un État palestinien, qui devait se concrétiser en … 1999. Mais sur la sécurité, les services de l’AP continuent à agir comme supplétifs d’Israël en réprimant toute manifestation de résistance à l’occupation. Par conséquent l’AP manque de crédibilité et de légitimité. C’est pourquoi elle a annulé les élections prévues pour cette année. Personne ne voit comment le Fatah pourrait remporter ces élections. Rappelons qu’aux dernières élections en 2006, le vainqueur était le Hamas. Avec 44% contre 41% pour le Fatah. Le Hamas a pris toutes les circonscriptions à Gaza sauf une, remportée par le Fatah, et il a gagné dans la majorité de circonscriptions en Cisjordanie. En 2006-07, le Hamas a dirigé deux gouvernements, le premier tout seul, le deuxième avec un front large comprenant le Fatah et d’autres courants. Mais la direction du Fatah n’a jamais accepté d’être minoritaire. En 2007 il y a eu un coup présidentiel mené par Abbas, un état d’urgence, un gouvernement nommé qui n’a jamais été approuvé par l’Assemblée élue en 2006, mais qui a pris ses fonctions en Cisjordanie.

A supposer qu’il y ait des nouvelles élections – ce qui est loin d’être sûr – le Hamas pourrait encore gagner. D’après un sondage cité par Haaretz du 15 juin, 53% de palestiniens pense que le Hamas « mérite le plus de représenter et diriger le peuple palestinien » contre 14% pour le Fatah. Néanmoins, malgré le respect que sa résistance à Israël lui procure, ni son idéologie islamiste ni son régime autoritaire à Gaza ne sont au goût de tout le monde. Il y a d’autres possibilités (et notons quand même que 53 + 14, cela ne fait que 67% ; il reste donc une marge). Il y a le mouvement de Mustafa Barghouti, Initiative Nationale Palestine, qui prône un mouvement non-violent mais qui défend le droit à l’auto-défense. Ce parti a eu quelques élus en 2006 et Barghouti s’est présenté contre Abbas aux élections présidentielles de 2005. Et il y a le personnage de Marwan Barghouti, un cousin lointain de Mustafa. Marwan Barghouti était un dirigeant de la première et surtout de la deuxième Intifada, il a été secrétaire général du Fatah en Cisjordanie. Il a cru au processus de paix, il a déchanté. Il croupit dans une prison israélienne depuis 2002. Le Hamas l’avait mis sur sa liste au moment de l’échange de prisonniers avec Israël en 2011 mais les Israéliens ont refusé. On spécule aujourd’hui qu’il sera libéré la prochaine fois. Barghouti est très respecté et influent au sein du Fatah, parti qui ne se réduit pas à l’appareil de l’AP (il a fini par appeler à la grève du 18 mai). Marwan Barghouti avait commencé en 2005 à lancer un nouveau parti mais est finalement resté au Fatah. Mais en 2014 de sa prison il a appelé à arrêter la collaboration avec les forces de sécurité israéliennes, en appelant aussi à une troisième Intifada. S’il est libéré ce serait un signe qu’Israël ne contrôle pas tout. On pourrait aussi voir apparaître des nouvelles forces politiques issues d’une troisième Intifada.

Pour l’avenir, tout dépendra d’abord de la suite des évènements en Palestine. Nous n’allons pas dicter aux Palestiniens ni leurs tactiques ni leurs revendications. Mais le mouvement international a une importance cruciale, surtout dans les pays impérialistes alliés d’Israël, en Europe et Amérique du Nord. Ce sont ces pays qui soutiennent Israël, qui l’arment, qui fournissent un soutien politique, qui financent l’AP. Et les gouvernements de ces pays sont sensibles à l’opinion publique, à l’évolution des attitudes à l’égard d’Israël.

Les plus importants, ce sont les États-Unis. Pour deux raisons. D’abord, c’est de loin le principal soutien d’Israël sur les plans politique, diplomatique, militaire, financier. Il est donc important de maintenir un soutien pour Israël au Congrès et dans la population. Or les attitudes de la population évoluent. Les Afro-américains, les peuples indigènes, mais aussi des secteurs importants des Hispaniques, à cause de leur propre expérience et histoire, sont plus ouverts à soutenir les Palestiniens. Et puis de Black Lives Matter il n’y a qu’un petit pas à Palestinian Lives Matter. 

Mais le phénomène est plus large et touche toute la population, Démocrates plus que Républicains, sans surprise. Dans un sondage en mars 2021 58% d’Américains affirmaient leur sympathie avec Israël, 25% avec la Palestine. Un autre sondage donnait 60:40. De toutes façons, cela bouge en faveur de la Palestine. En 2008, 33% de Démocrates était pour exercer davantage de pression sur Israël pour qu’il change sa politique. En 2018, 43%. En mars 2021, 53%. A l’heure actuel Betty McCollum, membre démocrate du Congrès, défend un projet de loi mettant des conditions à l’aide américain à Israël. Elle a le soutien de 72% des membres du Parti démocrate, 55% des électeurs du parti, mais moins de 13% de ses collègues démocrates au Congrès. Pourquoi ? Sans doute à cause de la forte influence des lobbies pro-Israël au Congrès (comme celle d’autres lobbies d’ailleurs, c’est comme ça que fonctionne la vie politique à Washington). 

On peut penser quand même que la pression de la base commencera à se faire sentir dans le Parti démocrate au Congrès. D’ailleurs l’impact des interventions du « Squad » de législateurs socialistes dépasse largement leur nombre (ils sont six). A noter encore une évolution assez surprenante de certains media. Le New York Times, traditionnellement pro-Israël, a rempli sa “une” avec les photos des plus de 60 enfants tués dans les bombardements de Gaza, avec leurs noms et leur histoire.

L’autre raison pour laquelle les États-Unis sont importants, c’est à cause de leur population juive, qui est aussi nombreuse que la population juive d’Israël ou nettement plus, cela dépend de la définition de Juif. Historiquement, cette population était pro-Israël et structurée par des organisations sionistes fortes. Il n’était pas facile de critiquer Israël. 

Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération, d’autres attitudes. Dans les manifestations de mai 2021, on pouvait voir des pancartes : «Ce Juif ne restera pas sur le côté» ou «Encore un Juif pour une Palestine libre». On estime que ces Juifs pour la Palestine se comptent par milliers. Il y a des sites de gauche juifs dont certains ne parlent pas que de l’actualité et de la Palestine mais cherchent à renouveler avec la gauche juive antisioniste de la première moitié du 20e siècle. C’est nouveau, c’est impressionnant.

Il y a des exemples concrets de solidarité avec la Palestine. Il y avait 35,000 manifestations à

Washington fin mai. Dans une action de grande signification, les dockers d’Oakland, Californie ont refusé de décharger le cargo d’un bateau israélien, l’obligeant à faire demi-tour. Cela faisait suite à l’action des dockers italiens de Livourne qui ont refusé de charger des armes pour Israël. A Londres il y avait 100,000 manifestants pour la Palestine. Et une manifestation pro-Israël beaucoup plus petite où on pouvait voir d’ailleurs des figures connues de l’extrême-droite britannique.

Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) était lancé en 2005 autour de trois revendications, retrait des forces d’occupation, égalité pour les Palestiniens d’Israël, retour des réfugiés. Avec un succès modeste au début, ce mouvement a aujourd’hui pris une ampleur considérable et est considéré comme un danger par le gouvernement israélien. 

Ecoutons encore Mourad Haddad.

“Nous ne devons pas reculer, Nos revendications doivent être grandes, plutôt que d’être des compromis. Nous parlerons d’un État de tous les citoyens. Nous avons compris que nous avons du pouvoir. Une fois que les Palestiniens de Jaffa, Acre, Shefa ‘Amr et Lydd recommencent à faire partie du peuple palestinien, notre pouvoir ne fera que grandir. Nous ne sommes plus une minorité, nous sommes la majorité. C’est ce qui a rendu fou ce pays.”

Le sens de ce qu’il dit est qu’il faut parler d’une solution globale plutôt que partielle. Notons au passage que la force principale de Hadash, le Parti communiste, est pour deux États. Ce serait aux Palestiniens de décider. Mais il y a beaucoup de signes que cette idée est en perte de vitesse, surtout parmi les jeunes, et que l’idée d’un seul État démocratique progresse. Bien sûr, ce serait difficile. Mais on peut penser qu’il vaut mieux mettre en avant une revendication qui sera difficile à réaliser mais qui apporterait une vraie solution qu’une autre, celle de deux États, aussi difficile à réaliser et qui ne résoudrait rien sur le fond.

Concluons par la fin de la lettre ouverte de 500 Juifs israéliens.

« En tant qu’individus qui appartiennent au côté de l’oppresseur, et qui ont essayé pendant des années de faire bouger l’opinion publique israélienne afin de changer les fondements du régime actuel, nous sommes depuis longtemps arrivés à la conclusion qu’il est impossible de changer le régime juif suprématiste sans intervention extérieure.

« Nous appelons la communauté internationale à intervenir immédiatement pour arrêter les agressions actuelles d’Israël, adopter les revendications du mouvement palestinien de Boycott, Désinvestissement et Sanctions; œuvrer vers la remise au jour du droit au retour palestinien et rendre la justice historique; arriver à une solution juste et démocratique pour tout le monde, basée sur la décolonisation de la région et la création d’un État pour tous ses citoyens ».

Ajoutons que certains des signataires ont passé non seulement des années, mais des décennies, à essayer de faire bouger l’opinion publique israélienne. S’ils disent que c’est impossible, c’est pour des raisons de fond, liées à l’évolution de la société israélienne. La première condition pour modifier même partiellement cette situation est un mouvement social et démocratique fort du peuple palestinien. Le deuxième, c’est la pression internationale.

Résumons l’essentiel :

  • Il y a une nouvelle phase qui s’ouvre en Palestine ;
  • Il y a une nouvelle génération qui se mobilise ;
  • Il semble que la revendication d’un État démocratique multinational progresse ;
  • Le rôle de la solidarité internationale va devenir encore plus important.

4. Lutte pour une paix juste au Proche-Orient par des organisations non-étatiques

Si les esquisses du développement historique et de la situation actuelle proposées ci-dessus montrent une chose, s’est bien la complexité d’une situation politique informée par une multitude d’acteurs, d’histoires, de sociétés et de cultures différentes. Elle montre aussi que la question israélo-palestinienne a été dès le début une question posée et négociée sur le parcours de la politique internationale. Même si la Cour Pénale Internationale peine à se saisir du sujet, sous l’excuse d’un standing insuffisant de la Palestine dans une cour réservée aux nations-pays, d’autre organes des Nations Unis ont et continuent de produire un nombre important de résolutions, allant jusqu’à la condamnation de crimes de guerre commis par les forces armées israéliennes envers la population civile palestinienne.

Or, des efforts intenses pour une paix juste au Proche Orient se poursuivent aussi au niveau de la société civiles en Palestine-Israël, et à l’international. Des nombreuses organisations avec des buts différents agissent au sein des sociétés juives en Israël et ailleurs, tel B’Tselem, ICAHD, Not to Forget, Breaking the Silence, Parents Circle, Zochrot, Jewish Voice for Peace et des nombreuses autres. En Europe, des organisations civiles poursuivent souvent un activisme qui combine travail d’éducation et d’information, avec des projets sur place en Palestine qui peuvent être décrits comme faisant partie des efforts de développement. Soucieux d’agir en toute neutralité quant aux futurs possibles pour les relations palestino-israéliennes, ces organisations limitent souvent leurs contributions politiques à des revendications reprenant les acquis du droit international. Voulant ni intervenir dans l’auto-détermination palestinienne, ni relativiser l’auto-détermination israélienne, un activisme soucieux d’éviter tout paternalisme revendique souvent le maintien des valeur universelles (tels les droits humains) et la nécessite de créer ou maintenir les conditions minimales pour des négociations de paix, tel le halt immédiat de la colonisation israélienne des territoires palestiniens – qui crée des faits démographiques (majorité de populations non-arabe, etc.) s’opposant à tout retour desdits territoires – ou l’abolition du contrôle ultra-sécuritaire des Palestinien.ne.s. D’autres revendications dans ce contexte, important aussi au Luxembourg, sont la demande de l’interdiction de l’exportation ou du développement d’armes ou de techniques et systèmes de surveillance et de contrôle au Proche-Orient (comme cela se fait au Luxembourg avec le NSO Group et ElBit), 

Il est important de noter que l’État d’Israël même insiste sur la différence entre état d’occupation (qui crée un régime de droit militaire) et annexion (qui crée un état de droit civil et signifierai entre autres que la population du territoire annexé deviendrait de citoyenneté israélienne), mais s’arroge le droit de juridiction sur les territoires occupés pour justifier des actions tel l’expulsion de Palestinien.ne.s de leurs maisons. Ainsi se crée de fait un système d’apartheid malléable, qui classe Israélien.ne.s et Palestinien.ne.s dans deux registres juridiques (et réalités militaires) différentes. Cette séparation est en principe délimitée par le lieu de résidence, ce qui fait que les Palestinien.ne.s habitant sur du territoire israélien jouissent de la citoyenneté israélienne et des droits y relatives, alors que ceux vivant dans les territoires occupés ne le font pas. Or, reprenant la fameuse formule de Balfour, la loi fondamentale de 2018 constate clairement qu’Israël est le « foyer national du peuple juif », rendant ainsi identité et histoire musulmane et nation israélienne irréconciliable (et démontant, entre autres, l’arabe de langue « nationale » en langue au « statut spécial »). Cette réalité d’une nation sur base d’une religion a aussi des ramifications dans la vie quotidienne des Israélien.ne.s, qui ne connaissent par exemple pas le mariage civil.

Réfléchir sur – et encore plus : s’engager pour – la cause palestinienne nécessite donc une analyse claire de la situation historique et actuelle au Proche Orient, mais aussi de la situation historique et actuelle de l’engagement civil étranger dans ce contexte. Alors que la gauche connait bien la critique de la droite religieuse américaine, qui s’engage dès le XIX. siècle pour la création d’un état juif en Palestine (y voyant un pas nécessaire dans la facilitation du retour du Christ), les relations difficiles au sein de la gauche politique entre antisionisme et antisémitisme sont souvent traitées sous forme d’entre-accusations réductionnistes plutôt qu’avec un esprit calme. Comme le débat autour de la définition de l’antisémitisme proposée par la International Holocaust Remembrance Alliance, et son rôle dans le démise de Jeremy Corbyn de la tête du parti travailliste, l’ont démontré, cette relation est souvent construite en vue d’attaquer la gauche. Néanmoins, la confusion des termes « juif » et « israélien », ainsi que des mises en question du droit d’existence de l’État d’Israël sous forme quelconque apparaissent régulièrement dans des débats de gauche, brouillant dans la terminologie (si pas nécessairement dans les intentions) les délimitations entre militantisme pour les droits humains et le droit à l’auto-détermination, et un révisionnisme historique reprenant le pire des idéologies du XX. siècle. Ici, une clarification des termes et intentions peut parfois être de mise, et la récente Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme peut être une aide de compréhension et de débat.

Le conflit israélo-palestinien englobe à un niveau extraordinaire les dimensions internationales, nationales et locales ainsi que les relations entre État et population, société civile et acteurs militaires, idéologues, religieux et scientifiques. Alors que toutes ces dimensions doivent être prises en compte dans une analyse de la situation et des possibilités d’actions, l’activisme de nombreuses associations civiles démontre qu’il n’est ni nécessaire, ni toujours opportun, de toutes les adresser. Soutenir un club de foot intégré ou une école pour filles dans un camp de réfugié.e.s avance la quête de droits humains sans s’arroger le droit de savoir mieux que les acteurs sur place s’il faut préférer une solution à un ou deux états, avec ou sans échange de populations et de territoires, etc. Il s’agit là d’une leçon importante : avancer la cause d’une résolution pacifique du conflit entre au Proche-Orient en facilitant l’action entre les acteurs concernés, et non pas en imposant une résolution dictée par ses propres intérêts ou croyances, sous forme de deals of the century ou autre.


[1] https://carnegieendowment.org/sada/84509

[2] Alain Gresh: „Geurres sans fin contre les Palestiniens.” Le Monde Diplomtatique Juin 2021, p.14.

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